Nombreux sont ceux qui sont convaincus que les institutions de microfinance (Imf) contribuent à appauvrir davantage les populations en proie à une extrême pauvreté. A la lumière de la gestion calamiteuse du Crédit mutuel du Sénégal (Cms), il n’est plus permis d’en douter. On aurait pu ajouter que le business social sert le plus souvent à enrichir les dirigeants de ces Imf au moment où les pauvres sociétaires trinquent, étouffés qu’ils sont par des taux d’intérêts à la limite de l’usure. La gestion de la Fédération des caisses de Crédit mutuel du Sénégal (Fc Cms) en est une illustration manifeste. A la suite du rapport de la mission conjointe de la Direction de la réglementation et de la supervision des systèmes financiers décentralisés (Drs/Sfd) et de la Bceao, le couperet du ministre de Finances est tombé. L’ensemble des membres du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance de la Fc Cms ont été destitués par Abdoulaye Diop, alors Ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des Finances. C’est dans une correspondance en date du 1er mars 2012 qu’il a exposé à son président les raisons des mesures administratives prises à l’encontre des membres de l’organe qu’il dirige, conformément à l’article 71 de la loi 2008-47 du 03 septembre 2008 portant réglementation des Systèmes financiers décentralisés (Sfd). Abdoulaye Diop explique qu’ils « ont failli à leurs obligations de contrôle, au détriment de l’institution et de ses membres ». Par cette décision, les ex membres du Conseil d’administration et du Conseil de surveillance de la Fccms « sont interdits de siéger dans un organe d’administration, de gestion ou de contrôle d’un système financier décentralisé, ni directement, ni par personne interposée, administrer, diriger, gérer ou contrôler un Sfd ou une de ses agences, proposer au public la création d’un Sfd décentralisé, ni disposer du pouvoir d’engager l’institution ». Sans plus. Si Abdoulaye Diop en est arrivé à cette sanction ultime, c’est parce que les griefs retenus contre eux sont lourds. Surtout de pour les 517.820 sociétaires du Crédit mutuel sénégalais qui peuvent craindre pour leurs dépôts. La vérification effectuée du 19 septembre au 20 octobre 2011 a porté sur le suivi de la mise en œuvre des 30 recommandations de la mission conjointe d’inspection Bceao/Ministère de l’Economie et des Finances réalisée en 2008 et l’examen de la situation présente de l’institution. A la suite de cette vérification un blâme a été infligé aux dirigeants de la Fédération dont Mamadou Touré et Amsatou Sow, à qui on a reproché leur volonté manifeste de se soustraire aux règles de bonne gouvernance voire de transparence. Mieux, comme pour le narguer ces personnes blâmées ont connu une promotion. Le rapport d’inspection de 2008 avait aussi mis en exergue la non fiabilité des états financiers au titre des exercices 2005 et 2007. Le rapport de 2011 est plus accablant.
730 millions de pertes au profit de la société Keur Sant
Dans ce rapport de 25 pages sur la gestion calamiteuse du Crédit mutuel du Sénégal, plusieurs griefs et des plus colossaux sont retenus contre ses dirigeants parmi lesquels une perte de 703,2 millions au préjudice de l’institution au cours d’une transaction immobilière. Une perte qui fait suite à l’achat par le Cms de 147 logements à bâtir sur un terrain de 25 300 Km2 pour un coût de 2 milliards 386 millions de Fcfa. Seulement, après avoir décaissé 2 milliards 268 millions au profit de la société Keur Sant sarl, celle-ci n’a pu livrer que 104 logements dont 70 sont restés invendus et dans un état de dégradation avancée. Le 17 avril 2008, coup de théâtre : les dirigeants de la Fccms donnent leur accord à la société Keur Sant pour l’arrêt des travaux « sans la moindre procédure de récupération des fonds décaissés », s’indignent les vérificateurs. Le préjudice est immense pour le Cms : il subit une perte de 730 millions de Fcfa.
La mission signale que les 70 logements invendus ont été apportés en nature par la Fccms à la constitution du capital social de la société immobilière Simus Sa, laquelle société n’exerce pas d’activités, faute de fonds nécessaires. Ce qui n’empêche pas son directeur général d’être pris en charge par la Fccms. Une prise en charge qui date selon le rapport de 6 mois avant la création ladite société. Pis, la création de cette société dénommée Société immobilière mutualiste du Sénégal (Simus) par la Fccms s’est faite sans autorisation des Assemblées générales des caisses de base et de la Fccms.
Divers manquements ont été également constatés dans l’application de la réglementation. A ce sujet, il établit que sur les 131 caisses de bases dont dispose le Cms, 40 caisses dont 17 situées à Dakar ne sont pas agréés. Ces caisses qui ne bénéficient pas d’agrément du ministre des Finances regroupent toutefois 61 408 membres et mobilisent un encours de crédit de 8,2 milliards et un encours d’épargne de 12,8 milliards de Fcfa.
Mamadou Touré, l’alpha et l’oméga du Cms
Les vérificateurs ont en outre constaté la présence de Mamadou Touré ex directeur du groupe Cms Sa à des réunions du Ca et d’avoir influé sur le fonctionnement de cet organe. Une influence qui lui permis d’obtenir la tête de Amadou Sow destitué de la direction générale de la Fccms avec gel des primes de missions. Touré, au cours de cette même réunion a proposé et fait nommer le même Amadou Sow comme directeur général d’une société immobilière que l’institution financière a décidé de créer. Plusieurs anomalies ont été aussi constatées par la mission de vérification dans la constitution et du fonctionnement de sociétés anonymes par la Fccms. Il s’agit des sociétés Tms Sa, Groupe Cms Sa, Simus Sa, Bimao Sa, Thiaré Finances Sa et la Confédération des Caisses mutualistes d’Afrique de l’Ouest (Ccmao).
Dirigé par Mamadou Touré, Thiaré Finances une société sans activité doit depuis 2008, 600 millions de Fcfa à la Fccms et ce sans intérêt. Toujours, au chapitre des errements des dirigeants, la mission a également relevé que Tms Sa qui a pour unique client Fccms, à qui elle revend du matériel informatique et des services de maintenance du parc informatique, a bénéficié d’un financement sans intérêt de 673 millions en décembre 2010. Actionnaire avec Aic Sarl et salam avenir Suarl à Tms Sa, la Fccms a fait preuve de « générosité » en libérant pour ces deux actionnaires leur part de capital. Outre son financement préalable, Tms Sa a reçu, pour son projet de financement des projets informatiques un montant de 1 milliard 440 millions de la Fccms, sans qu’au préalable les modalités pour la mise en place de convention de compte courant d’associés ne sont pas définies.
Le plus curieux, c’est, jugent les vérificateurs, l’externalisation des attributions de son ancienne direction des systèmes d’information au profit de Tms Sa qui ne « rassure pas quant aux avantages économiques et financiers qu’elle est susceptible de procurer à la Fccms et à ses caisses de base », précise-t-on. Pis en dépit des fortes sommes engagées pour l’obtention d’un logiciel, la mission a constaté que la production des états financiers, des états annexes, des ratios prudentiels ne sont automatisés. « Le logiciel se limite à la production de balance, des retraitements pouvant être source d’erreurs sont faits sous excel », déplore le rapport.
14 millions de salaire mensuel pour Mamadou Touré
Créé en mai 2010 avec un capital de 135 millions de Fcfa détenus à 51,1% par le Fccms, le Groupe Cms Sa dont Mamdou Touré est le Directeur général voit toutes ses charges supportées par la Fccms, « sans imputation aux autres actionnaires », s’empressent de préciser les vérificateurs qui précisent que le montant de 335 millions de Fcfa figure dans les dépenses de la Fccms en termes de frais immobilisés et exposés à l’occasion de la création du Groupe Cms Sa.
Les vérificateurs ont dû sans doute s’étrangler en découvrant la faveur faite à Mamadou Touré, l’ex Dg de la Fccms qui se voyait attribuer un salaire mensuel de 14 millions de Fcfa. Le veinard. Suffisant pour que les vérificateurs voient à travers le Groupe Cms Sa une opportunité de distraire les ressources de la Fccms et de permettre à Mamadou Touré de continuer à peser sur toutes les structures de la Fccms.
5 milliards de prêts aux seuls employés de la Fccms
En outre, la mission est restée baba de l’extrême prévenance de la Fccms à l’égard de ses employés. En effet les vérificateurs ont relevé que les encours de prêts au personnel ont atteint, au 31 décembre 2010, un montant de 5 010 548 821 Fcfa. Résultat : la limitation des prêts aux dirigeants et au personnel n’est pas respectée car violant les normes prudentielles édictées en la matière. Plus généralement, le Cms ne respecte que trois parmi les neuf normes prudentielles prévues par la Bceao.
En outre, sur les 50 dossiers de prêt, la mission a relevé le non respect des conditions d’octroi de prêts du responsable des engagements dont le remboursement va se poursuivre au delà de sa date de départ à la retraite. D’autres agents comme le chef du service commercial, le chef du service inspection et l’assistant Drh ont bénéficié de plusieurs crédits dont le cumul des échéances dépasse leur quotité cessible.
Par ailleurs, les vérificateurs ont constaté à leur passage que la plupart des caisses de base du réseau sont déficitaires. Entre 2009 et 2010, leur nombre est passé de 29 à 69, soit une progression de 137%. Un déficit que les vérificateurs imputent aux lourdes charges de la location du matériel informatique aux caisses de base pour un montant annuel de 1 250 000 Fcfa par poste de travail (ordinateur, imprimante, logiciel et matériel de réseau). Une charge difficile à supporter par les caisses comme celle de Kolda qui a versé la somme de 17 750 000 en 2010 uniquement pour ses postes de travail, son logiciel bancaire et le serveur. Le plus surprenant est que ce versement annuel s’effectue sur une période indéfinie alors que le matériel acquis sur les ressources de la Fccms est amorti sur trois ans.
Doute sur l’existence réelle des immobilisations d’une valeur de 11 milliards
L’écart « non justifié » de 158 544 045 Fcfa entre le montant total des comptes d’actif qui ressort à 90 512 896 888 et le montant total des sommes inscrites au passif ressort à 90 671 440 933 Fcfa a également été remarqué par les vérificateurs qui imputent ce différentiel à la conformité douteuse des états financiers de la Fccms aux états financiers prévus par le Rcsfd. D’une part, les vérificateurs ont en outre constatés que le prestataire Viveo a perçu entre janvier et décembre 2010 le montant de 41 781 325 Fcfa alors que la mission n’a pu disposer du contrat des prestations. Idem n’a pu disposer de l’existence effective du stock de cartes biométriques d’un coût de 450 000 000 Fcfa, achetées sans autorisation de l’Etat du Sénégal.
Par ailleurs, dans sa vérification de la gestion de Mamadou Touré et consorts, la mission pointe du doigt l’absence de certificats ou attestations de détention des titres de participation dont le montant est estimé à 1 399 900 000 Fcfa. Dans d’autres dépenses comme les immobilisations pour lesquelles les vérificateurs consacrent plusieurs lignes, il est relevé un manque de transparence notoire. « Aucun élément n’a permis selon eux de vérifier l’existence effective des immobilisations », précise le rapport. Il en est ainsi des immobilisations en cours d’une valeur de 2 492 306 511 Fcfa. Aucun document attestant du niveau d’avancement des travaux et d’exécution des commandes n’a été fourni aux vérificateurs. Mieux, ces derniers soulignent qu’en 2004 et 2009, 1 172 403 323 Fcfa ont été engagés sans qu’il ne soit possible de s’assurer de la réalisation ou de l’achèvement des travaux.
Dans cette colonne des immobilisations dont les éléments attestant de la réalisation sont introuvables, il faut encore ajouter les immobilisations d’exploitation corporelle d’un montant de 9 712 402 921 Fcfa. D’après le rapport, aucun élément ne permet d’attester l’existence réelle des immobilisations du Crédit mutuel du Sénégal et l’état réel de ces immobilisations. Une brèche dans laquelle se sont vite engouffrés plusieurs agents de l’institution qui utilisent ces immobilisations alors qu’ils ne sont plus en service. En atteste l’utilisation par l’ex directeur général du Groupe Cms Sa, Mamadou Touré d’une voiture Mercedes Gl class 500 d’un coût de 102 457 000 Fcfa. Ce dernier qui semble jouir d’un train de vie princier a vu le montant de 8 382 460 Fcfa être engagé par la Fccms pour l’aménagement de son domicile de fonction.
Non moins révélateur de cette gouvernance mise à rude épreuve : le rattachement de la direction de l’inspection et de l’audit au Groupe Cms Sa en parfaite violation de l’instruction de la Bceao en la matière. Pis, les contrôles réalisés par cette direction ne concernent pas toutes les caisses du réseau.
Les indélicats font de la résistance
A la suite de la mesure administrative prise par le ministre Abdoulaye Diop, ministre d’Etat, ministre des Finances, Mouhamed Ndiaye est nommé directeur général de la fédération des caisses du Crédit mutuel du Sénégal en remplacement de Madame Maréma Bao. Les personnes destituées ont introduit un recours gracieux auprès du ministre d’Etat. Recours, à la suite duquel Abdoulaye Diop a demandé à ses services compétents la suspension provisoire de la mise en œuvre de cette décision en attendant l’examen du recours gracieux. Ce qui n’annule pas toutefois la mesure. Prenant cette suspension provisoire de la destitution comme un rétablissement dans leurs droits des membres du Ca et du Cs, les destitués ont voulu tenir un conseil d’administration alors qu’ils n’ont plus la qualité de membres du Ca. Dans l’optique d’interdire ce conseil d’administration, le nouveau Dg, Mouhamed Nidiaye a introduit une requête en date du 13 mars 2012 auprès de la présidente du Tribunal régional hors classe de Dakar. Dans sa réponse, le juge a, le même jour, interdit toute tenue d’un Conseil d’administration de la Fccms par les membres destitués « jusqu’à l’avènement d’une décision du ministre des Finances sur le recours gracieux introduit ».
Quoiqu’il en soit, les irrégularités mises à nu par cette mission de vérification ne vont pas arranger la réputation déjà écornée des institutions de microfinance accusées de plonger les populations dans le surendettement et la pauvreté extrême alors que leurs dirigeants font la bamboula. Qui disait que « la création de richesse par des pauvres est un conte de fées néolibéral » ?
Mamby DIOUF