Sur les guets des quatre côtés de la prison de Cotonou, des hommes en armes montent la garde. Mais cette présence semble peu dissuasive. Beaucoup de prisonniers se sont fait la belle plus d’une fois malgré cette surveillance. Vu de l’extérieur, on se rend bien vite compte qu’il ne s’agit pas d’une prison de dernière génération. Construite en 1962 pour 400 «locataires», elle en compte plus de 2250.
La maison d’arrêt de Cotonou plus connue par les Béninois sous le nom de prison civile est mitoyenne du commissariat central de la ville. Elle est sise à l’angle qui fait la jonction entre le boulevard de l’Europe en partant de la fameuse Place de l’Etoile Rouge (héritage du régime marxiste léniniste au pouvoir jusqu’à à la fin des années 1980) et le boulevard de l’Eglise Saint-Michel en partant du Hall des Arts.
Des détenus «maîtres» de la prison
A l’entrée, une longue file de visiteurs venus voir un parent ou une connaissance attendent calmement leur tour de passer le seuil, les bras ballants, avec un présent ou de quoi manger à la main. Une fois les vérifications d’usage faites, le portillon se referme brutalement: le visiteur se retrouve face à une tout autre réalité.
C’est moins la vétusté des bâtiments qui choque d’emblée que la promiscuité. Les prisonniers sont partout et chacun s’occupe comme il peut, en attendant que vienne la nuit. Certains essaient de tuer le temps en jouant au domino ou aux cartes. Quant aux femmes, les unes font leur cuisine en manipulant des longs couteaux tandis que les autres veillent sur leurs nourrissons.
La prison, lieu de haute spéculation
La prison civile de Cotonou dispose en son sein d’un marché grandeur nature, avec ses boutiques et ses étals où l’on vend un peu de tout, où l’on déambule aussi à sa guise comme au grand marché de Dantokpa à Cotonou. Mais toute la prison a des airs de véritable «bazar». Si vous acceptez de débourser un peu plus d’argent, vous pourrez disposer de conditions de détention améliorées.
Ici, la spéculation est reine. Les produits qui y sont vendus coûtent bien plus cher qu’à l’extérieur. Ceux qui n’ont pas d’argent sont contraints de dormir debout puisqu’il faut payer pour avoir le droit de s’allonger quelque part. Le très florissant commerce qui s’y déroule fait que certains prisonniers préfèrent d’ailleurs rester en prison plutôt que de recouvrer leur liberté.
Le jour presque tout fonctionne comme dans une ville africaine. Des femmes rendent visite aux prisonniers. Les divers corps de métiers de la société s’y retrouvent. L’enfer, c’est la nuit. Pour les plus déshérités. Seuls les plus « riches » sont certains d’avoir droit à un matelas. Un ventilateur. Et une moustiquaire.
Les puissants prospèrent aussi derrière les barreaux
A l’exception du bâtiment des VIP (Very important people) où l’on dispose de lits superposables exactement comme dans une caserne et de ventilateurs qui brassent l’air chaud, partout ailleurs l’application de la loi de la débrouille est la chose la mieux partagée. Les prisonniers se couchent pour la plupart à même le sol, avec les moyens du bord. Dans le bureau du régisseur, un vaste tableau trône. Le régisseur là en face des yeux dès qu’il s’assoie à sur son vaste siège. Il est l’œuvre d’un prisonnier. Cette peinture donne une vision synoptique de la réalité: des détenus debout, alignés comme des bâtonnets et serrés les uns contre les autres.
L’expression «être entassés comme des sardines» ne peut pas mieux s’appliquer que dans cet univers. Les occupants doivent payer leur place pour avoir le droit de s’allonger comme des sardines. Et ceux qui n’ont pas d’argent n’ont d’autre choix que de rester debout toute la nuit. Ainsi contraints à la station debout, nombre de prisonniers «meurent de descente d’organes » explique sobrement le régisseur.
Les agents des forces de sécurité ne gardent que l’entrée de la prison, ce sont d’anciens prisonniers qui veillent sur l’ordre et la discipline dans le reste de l’espace carcéral. Leur Loi. Ils sont les seigneurs de cette ville dans la ville. 4000 « habitants répertoriés » auxquels il faut ajouter les visiteurs réguliers. Et les passagers d’un jour dans cette étrange galère qui flotte dans les eaux troubles de la lagune de Cotonou.
Chaque bâtiment a un responsable qui sert d’interlocuteur avec l’administration de la prison. Dans l’enceinte, les bâtiments sont répartis selon que l’on est femme ou homme, mineur ou majeur, VIP ou citoyen ordinaire. Les couchettes sont réparties selon que l’on est riche ou pauvre. La justice va de pair aussi. Les pensionnaires débarquent pour des motifs très variés: bien anachroniques le plus souvent. Des destinées qui rappellent celle que l’on a pu entrevoir dans les Misérables de Victor Hugo.
Les enfants, premières victimes de la prison:
Dans le bâtiment des mineurs, un enfant d’une dizaine d’années porte pour tout vêtement un slip. Embastillé depuis plusieurs années, les yeux rouges et perdus comme dans un songe, il déclare:
«Je travaillais dans une maison et j’ai volé une chaîne en or. Je l’ai vendue à 2.000 francs CFA (3 euros) pour avoir de quoi manger. On m’a emmené ici. Je ne sais pas combien valait cette chaîne».
Le récit pathétique de ce petit garçon ferait frémir tout adulte d’émotion. Sa place n’est certainement pas là. Et personne ne sait le temps qu’il y passera. A quel point il sera abimé par ce séjour. Personne ne sait comment il en sortira tant la détention préventive a l’art de traîner en longueur au Bénin. Des centaines d’autres enfants sont détenus dans cette prison. «La plupart du temps, ils n’ont jamais été jugés» reconnaît un gardien.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans ce pays qui est une démocratie depuis plus de vingt ans on continue d’accuser et de jeter des Béninois en prison pour des soupçons de… sorcellerie.
«Dans le Nord, une fillette a été jetée en prison à la suite à une accusation de sa tante. Tombée malade, sa parente considérait qu’elle avait été victime d’un sort lancé par sa nièce» explique une visiteuse régulière de la prison.
Le luxe, pour certains, la promiscuité pour la majorité:
Au «carré VIP», on découvre un espace bien aménagé. Avec goût. Du luxe dans cet environnement. Un ancien député, accusé d’escroquerie et écroué raconte:
«C’est moi qui ai tout aménagé quand je suis arrivé. J’ai fait mettre l’électricité, un bureau et un ordinateur, une imprimante, un téléphone et tout le matériel que vous voyez… C’est le président de la République qui m’a envoyé ici, parce que je suis un opposant».
Pour autant, l’ancien parlementaire est-il victime de son appartenance à l’opposition ou de ses affaires douteuses? A la question de savoir quand il compte sortir de là, il répond tout simplement:
«Je ne sais pas. J’espère qu’avec le nouveau code pénal, cela ira plus vite».
La prison civile de Cotonou possède aussi sa bibliothèque. Mais il ne s’agit que d’une petite pièce dont les étagères exhibent quelques livres anciens. Des ouvrages d’Henri Amouroux «La vie des Français sous l’occupation» côtoient les romans d’Irène Frain ou des SAS. Sans doute autant de cadeaux de Français de passage. A en croire le bibliothécaire:
«Certains prisonniers ont déjà lu tous les livres présents ici ». Il complète : « si nous pouvions avoir de nouveaux livres, cela nous réjouirait. Aidez-nous»
Depuis quelque temps en effet, l’ambassade de France s’évertue à faire périodiquement des dons de livres à cette bibliothèque, comme nous avons pu le constater. Elle s’intéresse d’ailleurs particulièrement à la situation des prisons au Bénin qui contraste nettement avec l’engagement démocratique du pays.
Après avoir visité plusieurs maisons d’arrêt, le médiateur de la République, Albert Tévoèdjrè, a récemment proposé une table ronde pour essayer de réfléchir aux moyens d’améliorer les conditions carcérales. Mais pour nombre de Béninois, le plus urgent reste le vote du code pénal par le parlement et non des discussions autour de la problématique de la dignité humaine dans les prisons béninoises. Le surpeuplement est une caractéristique commune aux prisons du Bénin.
Conçues il y a plusieurs décennies, elles abritent actuellement une population carcérale parfois plus de 20 fois supérieure au nombre de «locataires» prévus au départ. Une situation aggravée par la lenteur et la corruption dans le milieu judiciaire qui fait que beaucoup de prisonniers passent plus d’années en prison – sans être jugés – qu’ils n’en écopent en définitive. La prison civile de Cotonou, capitale du pays, est la plus emblématique de toutes.
Les nouvelles prisons se font attendre…
Lors de sa récente visite en compagnie des membres de son gouvernement, le président Boni Yayi s’est dit choqué par les conditions d’hygiène des détenus. Aussi, a-t-il annoncé la construction prochaine de dix nouvelles prisons pour un pays qui n’en compte jusque-là que neuf au total. En outre, le chef de l’Etat béninois a demandé aux tribunaux d’accélérer les procédures concernant des personnes en détention préventive, afin de contribuer à désengorger les prisons.
La justice béninoise est connue pour sa lenteur. Et pour cause, l’ancien code pénal est devenu inadéquat. En attendant que le parlement le modifie et qu’il soit mis en application, les prisons du Bénin continueront encore de défrayer la chronique.Des prisonniers français font part de leur angoisse et leur découragement.
«Ici, il n’y a pas de justice, il suffit d’avoir un litige financier avec un puissant homme d’affaires béninois pour se retrouver en prison. A chaque fois que mon dossier doit être étudié par la justice, mon avocat se fait porter pâle. Ou il fait semblant de dormir pendant l’audience. Tout ça parce que j’ai moins d’argent que mes adversaires. Ici tout se monnaie», lâche un jeune détenu français, originaire de Grenoble, dont les propos ne sont pas contestés par les Béninois qui assistent à l’exposé de sa situation. Il est en prison depuis plusieurs années sans avoir été jugé.
Un retraité Provençal à la santé très fragile demande son rapatriement en France. Il souffre de difficultés cardiaques, il perd l’ouïe. Ses yeux bleus sont hagards. Il n’a pas l’air de comprendre la raison de sa présence dans cette prison. Selon lui, une histoire de jalousie qui aurait conduit une femme à l’accuser de trafic de drogue. Quoi qu’il en soit, le vieil homme a le plus grand mal à présenter son dossier devant la justice béninoise.
«Une convention de transfèrement entre le Bénin et la France existe depuis les années soixante dix. Les ressortissants français pourraient s’en prévaloir afin d’achever leur peine en France» souligne une diplomate française en poste à Cotonou.
Alors que nous quittons la prison, un autre Français détenu depuis plusieurs années, nous interpelle d’un regard impérieux. Il sait sans doute qu’il ne nous reverra jamais. Et les visites sont si rares. Visage mangé par une barbe rousse en bataille, regard hagard, débit saccadé et précipité, il lâche: «Ne nous oubliez pas. Ne nous laissez pas tomber».
Pierre Cherruau et Marcus Boni Teiga
CORRUPTION DE LA JUSTICE ET SURPEUPLEMENT DES PRISONS AU BENIN.
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