Cinquante-trois ans après l’indépendance et deux alternances plus tard, le Sénégal affiche toujours les mêmes symptômes criards du sous-développement. A l’instar de la majorité des autres pays africains. Certains indexent le néocolonialisme, d’autres le poids de la dette. Un peu partout, on organise des colloques, des séminaires, des thé-débats où de grands personnages aux titres ronflants et aux discours enrobés de mystères postillonnent du haut de leur piédestal à l’endroit d’un public discipliné qui prend des notes consciencieusement ; parfois l’index et le pouce collés au menton dans l’attitude de l’intellectuel exalté. A la fin, on s’auto-congratule et tout le monde promet, bailleurs de fonds y compris, que le développement est pour bientôt. Pourtant, nous nous enfonçons chaque année davantage dans un sous-développement endémique. Alors où est le problème ?
DEPUIS 53 ANS ON ATTEND EN VAIN LE DÉVELOPPEMENT.
Je ne vais pas perdre mon temps à aller chercher la solution dans les vieux manuels poussiéreux d’économie qui raisonnent à coups de courbes et d’équations ou dans les explications sociologiques approximatifs d’un Marx Weber. Si les acteurs changent et qu’au bout d’un demi-siècle, le Sénégal stagne, la raison profonde est à chercher dans notre manière d’être, de faire et de faire marcher ce pays. Nous sommes tous coupables à plus d’un titre. Les freins à notre bien-être social et économique sont essentiellement dus à nos comportements et peuvent se résumer à la mauvaise gouvernance et au legs pesant de nos traditions. Il existe bien d’autres facteurs externes et importants mais à mon avis nous sommes la cause première de nos problèmes.
LE DÉTOURNEMENT DES DENIERS PUBLICS EST NOTRE SPORT NATIONAL.
Au Sénégal, lorsqu’un individu est élu ou nommé à un poste de responsabilité, la première chose à laquelle il pense le plus souvent est de se remplir les poches en coupant les bourses de l’Etat pour ne pas avoir à retourner dans la disette une fois limogé. Le détournement de deniers publics est notre sport national. Il commence à la base, au niveau du petit bureaucrate insignifiant jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. L’idéal est d’amasser un assez joli magot pour mener grand train et mettre sa lointaine descendance à l’abri du besoin. Cela vaut pour les postes électifs, en particulier dans les collectivités locales, et pour l’administration en général qui est une gigantesque machine à corruption où pots-de-vin et extorsions de fonds vont bon train.
Je parle bien d’extorsion, puisque le fait de réclamer de l’argent à un pauvre usager pour que son dossier soit suivi d’effet en est bien un. Ceux qui ont déjà eu la chance d’aller dans des mairies, tribunaux ou autres administrations pour se procurer des documents administratifs ne me contrediront pas. Et pour cause. Par conséquent, si l’argent destiné au développement est détourné, comment le pays peut-il avancer ? Combien d’infrastructures utiles, de routes et de ponts auraient pu être construits depuis l’indépendance ? Combien de projets de développement auraient pu être menés à bien ?
QUAND LA FONCTION PUBLIQUE RECRUTE DES CONDUCTEURS QUI NE SAVENT PAS CONDUIRE…
Un des freins les plus importants à notre sous-développement est l’absence de ressources humaines compétentes. Si cette situation est due d’une part à un déficit d’éducation et de formation, résultant de la mauvaise gouvernance ; d’autre part elle est imputable à l’absence de méritocratie qui gangrène le système. Un adage local clame, à raison: chance vaut mieux que licence. C’est un fait particulièrement vrai au Sénégal où avoir un parent haut placé dans l’administration vaut plus que tous les diplômes du monde. Combien d’universitaires dont certains revenus d’Europe et d’Amérique après de longues études, frappent en vain à toutes les portes de l’Administration ? Alors que d’obscurs personnages recrutés par copinage perpétuent la lenteur, l’inefficacité et l’incohérence du système par leur bêtise et leur manque d’instruction et de savoir-faire.
Je me souviens du dernier grand recrutement de la fonction publique où l’Etat avait embauché des chauffeurs dont certains ne savaient pas conduire et des secrétaires dont beaucoup maîtrisaient plus la médisance que leurs leçons de grammaire. C’est le degré de parenté qui est mis en avant en lieu et place des critères objectifs qui devraient permettre de mettre la personne qu’il faut à la place qu’il faut. Il ne faut pas oublier aussi le personnel fantôme qui perçoit son du à la fin du mois sans lever le petit doigt. A l’époque, la santé avait reçu sont lot de secrétaires, de balayeurs et de tâcherons divers, sans que l’on songe à recruter ces médecins diplômés qui chôment et dont le pays a cruellement besoin ainsi que ces infirmiers et sages-femmes d’état sortis de l’E.N.D.S.S (Ecole Nationale de Développement Sanitaire et Social) qui est censée former pour la fonction publique. Et qu’en est-il du scandale des quotas sécuritaires dans l’éducation et des magouilles dans les concours d’entrée ?
La tradition sénégalaise veut que l’individu, quel que soit son revenu, fasse un grand mariage et baptise avec pompes. Même les funérailles, de nos jours, n’ont plus rien à envier aux fameuses noces de Cana. L’importance de l’individu se jauge à sa capacité à dépenser sans compter pour montrer à tout le monde sa noblesse et sa grandeur. Evidemment, cela a son prix. Sans oublier le fait que le Sénégal est l’un des pays les plus festifs du monde. Dans la grande tradition syncrétiste, on y célèbre les fêtes musulmanes, chrétiennes et païennes, sans compter des événements de notre cru comme les magals, gamous, ziarras et autres bamboulas qui nécessitent des dépenses exorbitantes. Dans un contexte social où l’apparat prime sur la sécurité financière, il devient quasi-impossible pour un individu ordinaire d’épargner et d’investir. L’autre aspect le plus distinctif de ce problème de mentalité est le fatalisme. Une forme de résignation à tout ce qui arrive et qui fait que l’individu ou la collectivité refuse de lutter pas pour s’en sortir imputant toute la responsabilité à Dieu.
LA BAMBOULA À LA PLACE DU TRAVAIL, ET MAINTENANT LES LEVÉES DE DRAPEAUX.
L’absence de dévouement au travail constitue également l’un de nos plus grands défauts. En plus d’avoir un calendrier festif particulièrement chargé, l’administration sénégalaise est minée par l’incurie et le laisser-aller. Dans le domaine du travail, le secteur privé offre un bien meilleur visage. Les horaires ne sont presque jamais respectés, surtout par les femmes. Et encore moins par les femmes mariées qui bénéficient de l’excuse selon lequel ces gentes dames doivent s’occuper de leurs maris et de leurs rejetons avant de rejoindre leur boulot. Si vous faites un tour dans les bureaux d’une administration quelconque, vous verrez à quel point ces gratte-papiers sont plus intéressés par les combats de lutte et les joutes politique que par leur travail. En passant, n’oubliez surtout pas de faire un tour au secrétariat pour avoir la primeur sur l’évolution des télénovelas et des commérages en cours. A l’occasion, une de ces nombreuses commerçantes aux sourires factices qui ont élu boutique dans les arcanes de l’administration vous proposera sans doute des pots de thiouraye ou des basins ganilas à acheter…
Un ami de mon père disait qu’aux Etats-Unis, si vous avez droit à quelque chose vous l’obtiendrez immanquablement mais que si vous n’y avez pas droit vous ne l’obtiendrez jamais qui que vous soyez et quoi que vous fassiez. Tout le contraire de ce qui se passe au Sénégal. On peut tout avoir grâce à de l’argent et à de bonnes relations même si on ne le mérite guère. Alors que chaque jour des citoyens sénégalais courent derrière leurs droits sans jamais les recouvrer. Et les cas sont légions et concernent plus particulièrement des travailleurs et des retraités de la fonction publique, des sociétés nationales ainsi que des établissements publics et parapublics. Beaucoup de concours ne sont en fait que des mascarades et la plupart des bourses d’études sont attribuées par affinités tout simplement.
LA MAUVAISE GOUVERNANCE NOUS TIENT À LA GORGE.
Finalement tout se résume à la mauvaise gouvernance. Au lendemain de la première alternance sénégalaise intervenue le 19 mars 2000, tout le peuple sénégalais avait cristallisé ses espoirs sur Abdoulaye Wade, le leader charismatique de l’opposition d’alors qui s’était opposé pendant 26 ans au diktat du parti socialiste. Très vite, le remède se révéla pire que le mal. Avide de privilèges et de profits matériels et financiers, le régime wadien s’enfonça dans un cycle de détournement de deniers publics sans nom et dans une corruption généralisée. De peur d’être sanctionné par les électeurs, le vieux politicien entretint un clientélisme politique ruineux pour le pays.
Ainsi va le Sénégal, la mauvaise gouvernance y est aussi endémique que le paludisme qui revient toutes les années décimer les populations. Le régime de Macky Sall qu’on prédisait sobre et efficient reprend peu à peu les tares du régime précédent avec des nominations continuelles qui ne font que grever le budget de l’Etat sans rien nous apporter. Et à chaque fois, ce sont les critiques d’hier qui retournent leurs vestes lorsqu’ils se retrouvent au pouvoir. Dans une arène politique où il n’y a guère plus que des hyènes, l’opportunisme est de rigueur. Le patriotisme sénégalais est mort, personne ne lutte pour les intérêts du peuple. C’est chacun pour soi.
Muhammad Mustapha Ndiaye
PS: Les intertitres sont du site.