Le ministre de l’Economie et des Finances du Senegal s’est fendu d’une missive pour expliquer à l’opinion, l’usage qui est fait des fonds politiques depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. En voulant défendre une opacité dont il récuse le terme.
Les services de M. Amadou Kane ont voulu défendre les pratiques en cours dans la gestion des fonds politiques, pratiques dénoncées au cours d’un panel organisé à la résidence de l’ambassadeur du Canada, en collaboration avec le Forum civil, par des universitaires, enseignants à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et des juristes de valeur. Il y avait notamment M. Abdourahmane Diokhané, enseignant en Finances publiques à la Faculté des Sciences juridiques, Jean-Claude Cabral, enseignant en Fac des Sciences économiques de l’Ucad, aux côtés des praticiens du Droit, Louis Lamotte, président du Tribunal régional de Thiès et Cheikh Lèye, magistrat à la Cour des comptes. Sans oublier de noter la présence des ministres Aminata Touré, Garde des Sceaux, et Abdou Latif Coulibaly, chargé du département de la Bonne gouvernance et porte-parole du gouvernement.
En déclarant que «Les différents fonds mis à la disposition du président de la République et abusivement appelés «fonds politiques» ne constituent pas une exception sénégalaise et sont connus dans les pays de grande démocratie ayant atteint un niveau de transparence budgétaire conforme aux meilleurs standards internationaux», il montre que certaines habitudes ne changent pas. Si nos dirigeants ne sont pas assurés de la validité de leurs arguments, ils nous renvoient à ce qui se passe dans d’autres pays. Et quand cela les arrange, ils assurent que le Sénégal n’a de leçon à recevoir d’aucun pays.
Sécurité extérieure et contre-espionnage
Mais, au-delà de ces questions de forme, le plus intéressant, c’est la manière dont le ministre des Finances traite l’utilisation de ces fonds politiques.
Après avoir, avec force détails, nié que la gestion de ces montants mis à la disposition du chef de l’Etat se fait dans l’opacité, parce qu’en plus d’être votés par l’Assemblée nationale, ils passeraient par le Dage de la Présidence, le Directeur du Budget et le payeur général du Trésor, M. Amadou Kane dénie à qui que ce soit l’autorité de demander des comptes à l’utilisateur final. Son motif ? «Le Président de la République doit disposer de moyens d’intervention rapide pour faire face à des situations qui peuvent compromettre la stabilité nationale», déclare-t-il. Car selon lui, les 8,8 milliards que la Nation met à la disposition du président de la République, serviraient essentiellement à la sécurité extérieure, au contre-espionnage, au renseignement, ou au soutien à des Sénégalais en situation de détresse.
On se demande, dans ces conditions, pourquoi nos services de sécurité intérieure, notre Armée nationale, la police ou la gendarmerie ne devraient pas disposer de moyens similaires, faute de prendre de ce budget, eux dont la vocation est de protéger la Nation et de défendre le territoire national. Néanmoins, cette explication ne s’arrête pas là car le ministre impose alors le black-out : «La pratique en la matière obéit plus à un souci de sécurité qu’à une volonté de cacher une information sur l’emploi d’une ressource publique : un renseignement obtenu dans le cadre de la sécurité nationale, une dépense pour la préservation de la stabilité sociale ne peuvent faire l’objet de facture encore moins de débat public.» Pourquoi les services de renseignement militaire, le contre-espionnage et le reste, ne sont-ils pas alors logés à la Présidence et leur budget géré par le chef de l’Etat ? Ne serait-ce pas plus simple de régler la question de cette manière, puisque l’Assemblée ne discute jamais de l’utilisation de leur budget ?
Contrôle superflu ?
Mais cela n’est qu’un autre point de détail, car le ministre de l’Economie et des Finances continue de dénier toute idée même de contrôle de la traçabilité de ces fonds, dont il dit pourtant qu’il peut être retracé. M. Amadou Kane tranche en effet : «L’impossibilité de produire des justificatifs pour les opérations imputables sur ces crédits rendent superflu tout contrôle, ce qui du reste n’a pas été effectué par le passé comme l’article peut le laisser croire». Evidemment, puisque depuis Senghor, aucune gestion de Président du Sénégal n’a jamais fait l’objet de contrôle, il serait criminel de vouloir commencer par Macky Sall qui lui, a obligeamment fait introduire dans la Loi des finances de l’année 2013, au titre 4, trois chapitres répartissant les fonds sous les rubriques, Fonds de solidarité africaine, fonds spéciaux, et fonds d’intervention sociale. Cela est la volonté de Amadou Kane.
Ce dernier concède toutefois que le «précédent régime» a dévoyé l’utilisation de ces fonds et a poussé l’opinion à ne retenir que «l’extrême prodigalité de leur distribution par l’ancien président de la République, se sachant protégé par une immunité constitutionnelle». Et il reconnaît que ces fonds politiques sont des ressources publiques qui ne peuvent servir à un enrichissement à titre personnel. Mais bien sûr, pour lui, ces pratiques auraient disparu avec Wade. Abdourahmane Diokhané et ses confrères panélistes du mercredi 6 février dernier, n’ont demandé qu’à s’en assurer.
Le mensonge d’Etat n’a que trop duré en Afrique. Les fonds politiques sont une manière pour les Présidents africains de voler l’argent de leur pays sans retenue et sans vergogne. C’est pourquoi bon nombre d’entre eux finissent par être rattrapés par « l’appétit » de petits militaires et autres putschistes.
Seydina Oumar Toure.