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Entretien avec le Président Malien:«Moi je sais partir…»

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ATT1-300x178 Entretien avec le Président Malien:«Moi je sais partir…»En ce vendredi 29 juillet, le Palais de Koulouba se dresse majestueusement sur une des collines les plus élevées de Bamako. La nature verdoyante entretenue par la pluie qui s’est abattue la veille dans la capitale malienne fait ressortir davantage la blancheur des bâtiments. A l’intérieur, Amadou Toumani Touré, plus connu sous le sobriquet de ATT, Président du Mali, s’apprête à recevoir ses audiences de l’après-midi. Et c’est dans une ambiance décontractée qu’il a reçu votre serviteur au Salon Macina pour environ une heure d’entretien qui va montrer un ATT soucieux de bien gérer les dix derniers mois qui lui restent à la tête de son pays pour une sortie en apothéose. Président, plus qu’une dizaine de mois à passer à la tête du Mali et lors de votre dernière conférence de presse marquant la date anniversaire de votre investiture, vous avez eu à déclarer : «Il est dans mon intérêt que le Mali ait un nouveau Président en 2012.» Qu’avez-vous voulu dire exactement ?
D’abord je suis Malien et en tant que tel, je souhaite que le Mali ait un bon Président. Ensuite la meilleure manière pour moi de partir, c’est de réaliser deux conditions : il faut que je sois d’accord pour partir et ça c’est décidé et sera strictement respecté, ce débat est clos depuis un ou deux ans. Maintenant il y a un autre débat, c’est celui des élections prochaines qui doivent être libres, transparentes et acceptées de tous. Je pense que cela est extrêmement important. Le choix du candidat reviendra aux Maliens mais je souhaite qu’il soit un bon candidat ou bien un bon élu, bien élu.
Quelles ont été les grandes satisfactions durant vos deux mandats ?
La satisfaction principale est que nous avons prouvé à ceux qui nous considèrent comme des pays pauvres qu’on peut bâtir et changer physiquement le pays. Au plan des infrastructures et sur bien d’autres plans, nous avons obtenu des résultats extraordinaires. C’est durant mon mandat que nous avons eu deux routes qui nous relient au Sénégal. Ce qui veut dire qu’on peut quitter Bamako pour descendre à Sandaga en car. C’est pour vous dire tous les progrès qui ont été réalisés en décongestionnant des zones de forte concentration et en essayant de rapprocher les zones de production des zones de consommation. Il y a plusieurs autres exemples que je peux citer dans le domaine énergétique, des routes, du social… Sur neuf ans, rares sont les fonctionnaires maliens qui n’ont pas bénéficié de 30 à 40% d’augmentation de salaire. Pour ce qui est des anciens et essentiellement les retraités, depuis 5 à 6 ans, la pension de ces derniers est mensuelle. Nous avons tenu également à régénérer et à réorganiser notre Armée et nos Forces de sécurité. Nous avons tenu à renforcer notre décentralisation en donnant plus de responsabilités et les moyens de les assumer aux élus locaux et aux collectivités. Je pense que mes satisfactions sont vraiment nombreuses et vastes, mais mes regrets, pour ne pas dire ma tristesse, sont également importants.
Quels sont ces regrets ?
Je me suis rendu compte que si on s’y était pris autrement, on aurait peut-être pu faire deux fois plus que ce qu’on a fait. D’autre part également, c’est après avoir réussi tout cela qu’on se dit : mais on aurait pu faire plus. Mais c’est une ambition humaine et c’est tout à fait fondé.
Partant de cela, est-ce que l’idée de solliciter un autre mandat présidentiel ne vous a pas traversé l’esprit ?
Non ! Moi, je sais partir. Je suis déjà parti une fois, donc je ne fais que repartir. C’est pourquoi, ce problème ne s’est jamais posé dans ma tête. Je suis venu en 1991 par voie de coup d’Etat, j’ai été désigné par les Forces armées pour mener cette transition qui a duré quatorze mois. Après on a mis tout le dispositif avant d’organiser toutes les élections à savoir le Référendum, les Municipalités, les Législatifs, les Présidentielles et investi le 8 juin un président de la République. Par la suite nous sommes retournés dans nos casernes, sans demander notre reste. On n’a même pas pris la précaution de penser à notre avenir. J’en veux pour preuve que deux jours après l’investiture, on n’avait rien à faire. Ce qui était tout à fait normal et nous le comprenions. Mais je n’ai jamais eu l’idée de ne pas quitter le pouvoir.
C’est assez étonnant surtout quand on se réfère à ce qui se passe du côté de vos pairs africains.
Je crois qu’il y a trois choses qui fondent la paix. Premiè­rement, je viens d’une région de culture pulaar où il y a ce que l’on appelle chez nous dans le Macina le Suudu Baaba ou la maison du père. Ce qui veut dire que l’individu n’est rien, tout est à la collectivité. Nous faisons tout en commun et nous avons grandi dans ces grandes associations qu’on appelle waldé en peulh. Déjà il y a une mentalité qui est là et je suis né dans cet environnement avec cette mentalité où ma personne n’est rien par rapport aux intérêts publics. Donc quand on me place dans une situation où je dois faire un choix, mon choix est clair. C’est dans cette logique que j’ai été éduqué. Le deuxième point est que je suis un officier, un soldat. Et l’un des points primordiaux pour un officier, c’est sa crédibilité. En tant que soldat, si je donne ma parole, je dois la tenir. Le troisième point c’est le Mali. Il y a une éthique au Mali dans laquelle nous sommes nés et avons grandi. Si je ne partais pas, je ne sais pas comment je vais regarder mes compatriotes demain. En plus, ce n’est pas un boulot cette histoire de Président, c’est épuisant. Moi, je voudrais être libre pour aller dans les Caraïbes, me déplacer, aller à Saly Portudal me reposer, sans avoir de compte à rendre à personne. Les gens n’imaginent pas qu’être un président de la République n’est pas de tout repos dans des pays comme les nôtres. L’épreuve du pouvoir n’est pas chose aisée. Surtout, il faut une vie après le pouvoir et c’est cette vie que je voudrais avoir. Je voudrais demain passer avec mon petit fils et voir le pont de Bamako qui est l’un des plus grands d’Afrique et que je lui dise que j’étais là lorsqu’on construisait ce pont et que c’est moi qui étais parti le négocier chez nos amis chinois. Je voudrais redevenir simple citoyen malien et dire que cette aventure j’y étais et voilà ce que j’ai pu faire pour le pays.
La paix est fortement menacée dans la sous-région. Au Burkina, les militaires font des siennes, en Côte d’Ivoire on continue de panser les blessures des récents événements, en Guinée il y a eu récemment l’attaque contre le Palais présidentiel, au Sénégal on vient d’assister à de chaudes journées, seul le Mali semble être épargné pour l’instant. Ne partagez-vous pas avec vos voisins la méthode ATT ?
Il faut dire que l’évolution d’un pays est comme l’évolution d’un homme. Parfois on est enrhumé, parfois on a le palu à la seule différence qu’un homme meurt et qu’un Etat non. Personne n’est épargné par les épreuves, elles peuvent arriver à tout moment à partir d’une certaine appréciation ou d’éléments d’un certain contexte. Mais le plus important, et c’est ce qui est le plus difficile, c’est que nous arrivons à trouver des solutions à nos problèmes. Je pense que nous devons être capables de nous donner les moyens lorsque nous avons une situation politique aussi sérieuse…
C’est quoi exactement se donner les moyens ?
C’est de savoir appréhender la situation et d’avoir la sagesse de pouvoir la gérer. Par exemple, il y a un point extrêmement important, c’est lorsque nous sommes venus au pouvoir, j’ai commencé par appeler dans le gouvernement tous les partis politiques représentés à l’Assem­blée nationale. J’avais à peu près 144 partis qui m’ont accompagné et après les élections, j’ai appelé tout le monde et on a formé un gouvernement de large ouverture, sans qu’il y ait de menace ni de conflit post électoral. C’était une initiative personnelle, parce que j’étais convaincu par mon expérience dans le Suudu Baaba, dans l’Armée, par le médiateur et représentant du secrétariat des Nations unies que j’ai été dans certains pays d’Afrique, qu’il fallait une ouverture. Notre démocratie à une certaine période, dans le cadre de son renforcement a besoin d’une synergie. On peut venir et rester soi-même, mais ce serait plus important lorsqu’on élargit la base de cette démocratie. C’est-à-dire qu’il faudrait que nous mettions une partie de nos valeurs dans les valeurs universelles de la démocratie. C’est la raison pour laquelle, lorsque je suis venu, j’ai appelé tout le monde en me disant que je suis élu, je n’ai pas de parti politique et je ne tiens pas à en former. D’autre part, j’ai su tôt que je ne pouvais pas gouverner seul. De là, nous avons dégagé un concept qu’on a appelé la gestion consensuelle du pouvoir. C’est avec cela que j’ai commencé mon premier mandat de 2002 à 2007, en travaillant sur cette base. Plus tard, après les élections de 2007, certains m’ont dit qu’ils allaient tenter autre chose. Je disais que la démocratie de type occidental est une démocratie agressive et d’affrontement. Donc nous préférons avoir une démocratie de type consensuel et qui reprend ces valeurs de regroupement autour de nous-mêmes. Comme lorsqu’il y a un événement, on oublie tous les problèmes politiques et on se retrouve entre nous au plan humain, ce qui est extrêmement important. De 2007 à 2010, certains ont pris le large pour rejoindre l’opposition. Et en formant mon dernier gouvernement en avril 2011, j’ai encore appelé tout le monde pour sortir comme je suis entré, terminer comme j’avais commencé. Rien ne m’y oblige, ni querelles politiques ni rien, mais j’ai souhaité, puisque nous avons commencé ensemble, qu’on termine ensemble. Il faut que nous soyons tous là pour ensemble, organiser les élections. C’est ainsi que nous avons encore ré-ouvert et avons été rejoints par tous les partis, sauf un seul qui nous a fait savoir que les dispositions ne lui permettaient pas de venir. Tout le reste, en demeurant des partis de l’opposition, est venu dans le gouvernement que j’ai appelé le gouvernement de mission, qui a pour mission fondamentale de conduire les réformes, les missions cardinales du gouvernement et d’organiser des élections transparentes.
Mais le Mali est aujourd’hui menacé dans sa partie nord par le terrorisme…
Ce n’est pas le terrorisme à lui seul qui constitue une menace. Nous avons une somme de menaces. Il y a quelques décennies, c’étaient plutôt les cigarettes. Il y avait une contrebande de cigarettes qui passait par cette même bande sahélo-sahélienne qui partait fournir l’Europe et même le Moyen-Orient. Après, je pense qu’il y a eu une autre menace qui a pris corps et qui s’est renforcé, ce sont les passeurs. C‘est-à-dire ceux qui envoient les gens vers l’Espagne ou vers l’Italie, en prenant les pays du Maghreb tels le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, comme des pays de transit. Nous avons aussi une autre menace qui est Aqmi. Pendant un moment, il y a des groupes du Gspc (Ndlr : Groupe salafiste pour la prédication et le combat créé officiellement le 16 septembre 1998 en Algérie) qui ont évolué certes et qui ont décidé de venir vers la bande sahélo-sahélienne pour créer un dispositif qui leur est propre et y opérer. Un autre aspect dans cette zone, ce sont les trafiquants de drogue. La drogue quitte l’Amérique latine et s’en va au Moyen et au Proche Orient ou en Europe. Donc la bande sahélo-sahélienne, tout comme l’Afrique de l’ouest, devient forcément une zone de tran­sit.
Le dernier point est que lorsqu’autant de menaces s’organisent, leurs auteurs ont besoin de se sécuriser. Ce qui fait que la vente d’armes et de munitions devient également une autre menace. C’est l’ensemble de ces menaces que nous avons vu venir. Mais cela a trouvé un terrain plus ou moins fertile, c’est-à-dire les différentes rebellions que certains pays ont connues ou bien les situations politiques difficiles. Depuis 2006, le Mali les a vues venir, mais nous avons été distraits pendant longtemps par ce que nous avons appelé l’insurrection touareg. Il faut reconnaître aussi, que les événements en Mauritanie, l’Algérie qui pendant près d’une décennie s’est battue avec beaucoup de courage contre le Gspc nous a vraiment perturbés en plus de l’étendue de la bande sahélo-sahélienne. Elle fait 8 millions de km2 soit un quart du continent africain. Elle va de la Mauritanie jusqu’au Darfour en impliquant des pays riverains tels que la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger le Tchad, l’Algérie, la Libye jusqu’au Soudan. Et lorsque vous voyez cette dernière décennie, toutes ces zones ont été perturbées.
Ainsi donc toutes ces menaces sont frontalières et aucune d’entre elles n’est née dans la bande sahélo-sahélienne. En définitive, nous les riverains de cette bande, devenons en même temps otages et victimes pour des situations qui ne nous regardent pas. Les cigarettes ne sont pas vendues chez nous, la drogue encore moins, parce que nous n’avons pas les moyens de les payer. Les bandes de la rébellion oui, mais personne ne peut faire la différence entre ces menaces et la rébellion. C’est sûr que quelque part, ces gens ont eu un intérêt commun dans tout ceci, c’est que leur sécurité à eux tous soit assurée dans cette bande sahélo-sahélienne ; ce qui devient une insécurité pour nous. Malheu­reusement maintenant, je ne dirais pas que nous n’avons pas été écoutés, mais nous n’avons pas été entendus par tous. Nous n’avons pas réussi à organiser la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement. Au cours de mon discours à la Nation à l’anniversaire de l’Indépendance du Mali le 22 septembre 2006, j’ai fait un appel en demandant et en expliquant que nous voyons certaines menaces prendre corps et grandir. Toutes ces menaces partent d’une frontière à une autre très facilement. L’Aqmi vient du Maghreb comme d’ailleurs le nom l’indique et s’est infiltré dans la bande sahélo-sahélienne, dont nous sommes riverains. Donc directement ou indirectement, nous sommes atteints. D’autre part, des prises d’otages que nous commençons à constater ont créé une situation extrêmement difficile qui fait que cette bande et les pays riverains deviennent des zones d’insécurité, par la présence de ceux-ci et par les prises d’otages qui sont médiatiques. Après cela, nous avons réussi à organiser une réunion des experts, puis une réunion des ministres des Affaires étrangères. Maintenant, nous avons voulu organiser le Sommet des chefs d’Etat. Ce Sommet avait un objectif : celui de dégager une vision commune après analyse, de mettre un chapeau politique et d’unir nos moyens dans le cadre de la lutte. Etant donné que les menaces sont frontalières, les réponses ne peuvent être que frontalières, surtout que nous sommes convaincus qu’aucun pays à lui seul ne peut les contenir.
Mais il faut dire que les choses ont évolué depuis. Aujourd’hui, nous avons un dispositif tout à fait particulier. Depuis un an, nous avons un dispositif militaire qui a été placé à Tamanrasset regroupant un état-major opérationnel du Mali, du Niger, de l’Algérie et de la Mauritanie. Il est chargé de veiller et de s’organiser maintenant, et demain de planifier et de conduire des actions pour protéger l’ensemble de la bande sahélo-sahélienne. Je pense que cela est un point important qui pourrait me faire dire que ce que j’ai voulu obtenir en passant par la Con­férence des chefs d’Etat, nous sommes en train de le mettre en place.
Oui mais dans tout cela, qu’est-ce que le Mali a fait concrètement au plan national ?
Le Mali a décidé, vu le déficit de la coopération sud-sud noté à un certain moment, ce qui n’est totalement plus le cas aujourd’hui, de dégager une politique nationale de lutte contre le terrorisme et le banditisme, en tenant compte des situations géostratégique, géopolitique, géographique et démographique sur le terrain et de l’histoire politique des uns et des autres. Dans cette politique, nous avons dégagé huit axes qui constituent la plateforme sur laquelle repose notre lutte. Elle constitue aussi les objectifs que nous voulons atteindre et également les voies et moyens par lesquels nous souhaitons y parvenir. Le Mali a rapidement fait une analyse claire en la matière. C’est que la lutte contre le terrorisme est un problème de société et la réponse à des problèmes de société ne peut pas être que militaire. Quoique la solution militaire peut être bonne jusqu’à une certaine limite. Partout où la solution militaire a été privilégiée, elle n’a pas été déterminante. A partir de là, nous avons pris dans cette politique un plan d’urgence que nous avons appelé Psdn (Ndlr : Programme spécial pour le développement du nord du Mali). Là également nous avons défini l’objectif principal et les objectifs secondaires. En disant que la solution militaire ne sera pas déterminante, nous sommes convaincus que parmi les causes qui peuvent permettre au terrorisme de gagner du terrain, figurent la pauvreté et la précarité des populations. C’est sur le terreau de la pauvreté que germent allégrement certains types de fondamentalisme. Les terroristes en général font leur entrée par l’humanitaire. Cela est une technique avérée et déjà connue. Il faut que nous leur opposions des réponses et celles-ci doivent être le développement. Raison pour laquelle, dans le programme spécial, nous avons pu combler deux facteurs essentiels. D’abord l’espace étant très grand, il faut l’occuper. C’est pourquoi dans le programme que nous avons défini, vous pouvez voir les camps militaires, le retour de l’Admi­nistration, les écoles, les forages, les centres de santé.
Est-ce que le départ de l’Administration à un mo­ment donné n’a pas été une erreur ?
Non ! Ce n’est pas le départ de l’Administration qui a été une erreur. C’est que dans tous les cas de figure, personne d’entre nous n’a les moyens d’occuper ce terrain. Mais tout compte fait, le Mali est dans une zone stratégique, dans la zone sahélo-sahélienne, bonne et mauvaise. Elle fait 650 000 km2 qu’il faut occuper et maîtriser. Nous avons 1 800 km de frontière avec l’Algérie, 600 avec le Niger, et 2 200 avec la Mauritanie. Donc ce serait extrêmement difficile de garder ce carré ou rectangle. Alors il faut remonter dans l’histoire. Après la révolution arabo-touareg de 1990-91-92, dans les accords de Paix qu’on a appelé les Accords de pacte national pour la réconciliation du Mali, il y avait eu un point extrêmement important qui était la démilitarisation de la région nord. Cette démilitarisation a été faite sans qu’elle soit comblée par une présence. Ce qui a créé un relatif no man’s land et, je pense, qui a été l’occasion pour certains de circuler aussi librement que possible. Donc en disant qu’il faut revoir l’implantation des régiments et les mettre dans de meilleures conditions en créant des camps, des postes de Gendarmerie, en construisant un centre administratif, c’est qu’aujourd’hui, sur 650 km2, lorsqu’on met un administrateur, il a besoin d’être sécurisé, d’avoir quelqu’un autour de lui. (…)
Donc le fait d’avoir retiré ces militaires et de n’avoir pas comblé ce vide a été peut-être une faute, qu’effectivement nous allons payer plus tard. Il faut quand même le reconnaître. Aujourd’hui, pour corriger cette erreur, cette faute grave, il va falloir reprendre pied dans cette zone. Seulement cette fois-ci, nous ne viendrons pas uniquement avec les unités militaires, il va falloir venir avec tout ce qui peut aider à répondre aux besoins essentiels, primaires et fondamentaux de nos populations. C’est là d’où est partie cette philosophie que la lutte doit avoir deux piliers : la sécurité et, le plus déterminant, le développement. C’est ce binôme sécurité- développement qui peut permettre de répondre à toutes les menaces qui se présentent aujourd’hui. Il faut d’abord une politique nationale consolidée et ensuite une politique régionale à l’étage supérieur.
Président, la Libye vit actuellement une situation difficile. Peut-on connaître vos sentiments sur la question, d’autant que le Mali entretient des relations particulières, privilégiées avec ce pays ; et au plan personnel vous avez des relations fraternelles avec Kadhafi ?
Vous avez tout à fait  raison ! D’abord il faut que les choses soient dites. Les gens ont oublié quelque chose et c’est ce que j’essaie de leur rappeler souvent. Au temps du Roi Idriss, le Mali avait des relations particulières avec la Libye. On était tout jeunes, mais je me rappelle qu’il y a eu un tremblement de terre dans le Sinaï et notre maître d’école nous a dit qu’il y a un pays qui a un problème ; il y a eu un tremblement de terre et il y a des enfants de notre âge qui sont là-bas, c’est un pays qui est très pauvre, il va falloir que chacun de vous fasse quelque chose. Nous sommes venus avec des chaussures, de petites culottes, des chemises et même l’argent qu’on nous avait donné ce jour-là pour payer le goûter et nous avons contribué. Les Libyens n’ont jamais oublié ce geste. Lorsqu’ils ont eu les moyens, je suis sûr qu’ils se sont toujours rappelé qu’un pays comme le Mali qui, en cette période avait plus de moyens qu’eux, avait contribué à soulager leurs douleurs. Deuxièmement, le Mali est un très grand ami de la Libye. D’ailleurs la Télé­vision malienne lui a été remise en 1985 par la Libye. Il y avait un dignitaire libyen qui était venu au Mali et avait demandé à regarder la télé, il n’y en avait pas. C’est à partir de cet épisode-là qu’il a promis une télé au Mali. Par la suite, la Libye a fait beaucoup d’investissements au Mali dans le cadre de la Censad (Communauté des Etats sahélo-sahariens) et de la coopération bilatérale, dans plusieurs secteurs comme l’hôtellerie, le secteur bancaire en bénéficiant des financements du groupe Censad et nos relations directes avec la Libye, le secteur agricole. Je ne renierai jamais une chose, même si l’on doit mourir de faim, il y a des repas qu’il ne faut jamais manger. Je ne dirais jamais que je n’ai pas été un ami de Kadhafi. Je ne renierai jamais cette amitié avec Kadhafi qui, également m’autorise à lui dire ce que je pense et ma lecture de la situation. Ce que j’ai fait quand je me suis rendu à Tripoli. Etant membre du comité du panel de l’Union africaine dont le Mali est représentant, je me suis rendu en Libye et avec Kadhafi, nous avons discuté largement.
Et que lui avez-vous dit ?
Que le monde a changé et il le sait, et que la Libye doit aller vers un processus de démocratisation. Nous lui avons dit qu’il faut qu’il y ait un cessez-le-feu, qu’il va falloir créer une négociation, qu’il faut qu’il y ait une Charte fondamentale pour pouvoir gérer cette transition, qu’il va falloir une période de transition qui doit aboutir à la mise en œuvre et à l’élaboration d’une Constitution. Et nous lui avons aussi dit que tout cela doit finir par une élection libre et transparente. Kadhafi nous a dit qu’il était d’accord et nous pensons que c’est la feuille de route qui a déjà été analysée au niveau de l’Union africaine.
Nous n’avons pas mandat d’aller demander à Kadhafi de partir, non ! Mais nous pouvons quand même lui suggérer que ce processus, dont on a parlé et sur lequel il était d’accord, aurait pu se faire en marge de lui ; et nous pensons que cela aurait été beaucoup plus important. Cela aurait été beaucoup plus acceptable et moins humiliant que la forme classique de mettre la pression. C’est pour cette raison que nous sommes allés le voir pour le lui demander. Je pense que le problème libyen aujourd’hui ne peut pas se régler au plan militaire, j’en suis convaincu. Je pense également que la Libye ne peut pas rester sans démocratisation. Mais nous pensons qu’aujourd’hui la négociation entre les deux parties, avec l’accompagnement de l’Union africaine et d’autres partenaires choisis et acceptés pourrait permettre de mettre fin à cette situation extrêmement difficile dans laquelle nous sommes. Donc nous pensons que notre feuille de route n’a jamais été aussi valable que maintenant, parce qu’après quatre à cinq mois, on s’est rendu compte de la limite de certains types de moyens militaires. Il n’est pas encore tard pour voir comment faire en sorte que la feuille de route  de l’Union africaine qui a été acceptée par Kadhafi et sur laquelle la partie de Benghazi a des réserves, fasse l’objet d’un consensus.

Sources: lequotidien.sn

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