Démocratie
Une adhésion massive de toutes les couches sociales aux principes démocratiques
Quand on les interroge sur leur degré d’adhésion à la démocratie, plus de neuf Dakarois sur dix se prononcent pour ce type de régime politique. Près des deux tiers (62%) se déclarent « très favorables à la démocratie », tandis que 30% sont « plutôt favorables à la démocratie ». Il reste donc moins de 10% pour émettre un avis négatif sur la démocratie. Et encore, ce jugement n’est pas définitivement hostile puisque 6% ne sont « plutôt pas favorables » à ce système. Finalement, à peine 3% des Dakarois rejettent la démocratie sans ambiguïté. Non seulement le soutien à la démocratie en général ne fait aucun doute, mais ce type de système politique est de loin plus apprécié que n’importe quelle autre forme de gouvernement. Outre la démocratie, deux autres types de régimes ont été proposés à l’appréciation des Dakarois (homme fort, gouvernement d’experts): ils ont tous été rejetés largement.
Toutes les catégories de population approuvent majoritairement la démocratie. Quelle que soit la variable sociodémographique considérée, la démocratie recueille toujours plus de 90% de partisans. Ainsi, les plus pauvres (1er quartile de revenu par tête) sont à peine moins favorables à la démocratie que leurs homologues du dernier quartile. De tels résultats viennent contredire la thèse selon laquelle les pauvres, du fait de leurs valeurs ou de leur situation économique, seraient rétifs à l’instauration de régimes démocratiques.
La démocratie un concept occidental ?
Si nous avons réussi à mesurer l’appréciation générale du concept de démocratie et à établir la façon dont elle est jugée par rapport à d’autres systèmes politiques, se pose toujours la question de savoir quelle acception plus précise en ont les Dakarois. Le résultat est sans équivoque : l’idée que se font les Dakarois de la démocratie est la même que celle qui prévaut dans les démocraties historiques ; ce qui plaide en faveur d’une conception universaliste de la démocratie, au Sénégal comme au Nord. Des six caractéristiques retenues,toutes sont considérées essentielles par plus de dix-neuf Dakarois sur vingt. Arrivent en tête le respect de « la liberté de culte », « la liberté de voyager », l’organisation « d’élections libres et transparentes » et « la liberté politique (choix de son parti) » fondamentaux pour plus de 98% des habitants de la capitale. Viennent ensuite « l’égalité devant la loi » (98%) et « la liberté d’expression et de la presse » (97%). En fait, le classement entre ces six propriétés n’a pas grand sens vu la faiblesse des écarts entre les différentes options. Si on agrège l’ensemble des six caractéristiques, 93% des Dakarois considèrent qu’elles sont toutes essentielles pour la démocratie. Encore une fois, les pauvres ne se distinguent pas par une compréhension de la démocratie différente de celle du reste de la population, en dépit de leur situation économique particulièrement précaire.
Fonctionnement de la démocratie : Si l’adhésion aux principes démocratiques est unanime, le diagnostic des Dakarois sur son fonctionnement réel au Sénégal est plus nuancé. En effet, ils ne sont plus que 33% à considérer que la démocratie fonctionne très bien. Le bilan est tout de même largement positif, puisqu’en ajoutant les 45% qui déclarent qu’elle fonctionne plutôt bien, ce sont près de huit Dakarois sur dix (77%) qui sont globalement satisfaits de la manière dont les principes démocratiques sont mis en oeuvre dans le pays. D’ailleurs, à l’autre extrémité du spectre, moins de 5% se disent très mécontents de la vie démocratique dans le pays.La mesure de l’appréciation générale sur le fonctionnement de la démocratie est utile, mais elle est en revanche de peu d’usage lorsqu’il s’agit de définir des politiques concrètes pour améliorer la situation. Des six propriétés proposées, la « liberté de religion » ne semble pas poser de problèmes majeurs, puisque 95% des Dakarois sont convaincus qu’elle est respectée. Le diagnostic est un peu moins satisfaisant en matière de « libertés politiques », où seulement 87% affirment qu’elles sont respectées. La situation va en s’aggravant avec la « transparence et la liberté des élections », « la liberté de voyager » et « la liberté d’expression » dont 25%, 27% et 33% respectivement dénoncent les violations. En fait, le problème le plus grave est selon la population le non respect de « l’égalité devant la loi » : moins de la moitié des citoyens (46%) pensent qu’elle est effectivement assurée. Une démocratie efficace ne peut fonctionner que s’il existe une offre politique, des hommes et des partis politiques qui jouent leur rôle d’intermédiaires démocratiques. Or force est de constater que l’opinion des Dakarois sur leur classe politique, dans son ensemble, est peu reluisante. A peine plus un quart (28%)déclare que les hommes politiques reflètent les préoccupations de la population. Pour les près des trois quarts restants, les politiciens ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. Parmi les raisons susceptibles de peser sur l’appréciation du fonctionnement démocratique, la question des droits de l’homme est une préoccupation majeure.A la différence du jugement sévère porté sur la classe politique, 70% des Dakarois ont une appréciation globalement positive du respect des droits de l’homme au Sénégal. Certes, des progrès peuvent être apportés sur ce front, puisque seuls 28% sont pleinement satisfaits. Si la perception de l’ampleur des problèmes n’est pas négligeable, elle reste limitée : moins de 10% de la population dénoncent une situation de non-respect généralisé.Si on se place dans une perspective de plus long terme, les Dakarois se montrent très optimistes quant à l’évolution du fonctionnement de la démocratie au Sénégal. 76% d’entre eux pensent que le Sénégal a progressé sur ce front depuis le début des années 1990, contre moins de 7% qui affirment le contraire ; pour les 18% restant il n’y a pas eu de changements notables. Avec +69 points, le solde d’opinion est donc très largement positif. Ce bilan favorable est partagé par toutes les couches de la population, femmes comme hommes, riches comme pauvres. Ce résultat est d’autant notable que selon les classements internationaux le Sénégal occupait déjà au début des années 1990 une position enviable sur le front démocratique en Afrique.
Les Dakarois et la politique : participation et politisation
Dans une démocratie, la participation électorale est la forme la plus naturelle de participation politique. Selon les résultats de l’enquête, le taux de participation à l’élection présidentielle de 2000 dans la capitale a été de 61%.Sans être élevé, un tel taux peut être considéré comme moyen à l’aune des standards internationaux, même en comparaison des niveaux enregistrés couramment dans les démocraties historiques. Il existe en revanche quelques signaux qui viennent fragiliser la santé de la démocratie au Sénégal, en dehors du discrédit de la classe politique. Ainsi, 17% du corps électoral potentiel n’étaient pas inscrit sur les listes, cette exclusion touchant plus fortement les plus pauvres. De plus, ceux qui affirment que « voter ne sert jamais à rien » représentent plus de 27% des abstentionnistes, soit 7% du corps électoral. En revanche, la mobilisation électorale des pauvres, presque aussi importante que celles des riches, mérite d’autant plus d’être soulignée qu’elle va à l’encontre de la tendance inverse observée dans de nombreux pays développés.
Au-delà du vote, il existe d’autres moyens de participer à la politique. Ainsi moins d’un Dakarois sur cinq (18%) a participé à au moins une action politique de type pétition, grève ou manifestation, au cours de sa vie. On est donc loin de l’apathie citoyenne souvent dénoncée, comme caractéristique des pays pauvres. D’ailleurs,l’appartenance à un parti ou à une association politique, qui représente traditionnellement la forme la plus pérenne de participation politique, concerne 25% de la population dakaroise. Si la participation « contestataire » augmente avec le niveau de revenu, on observe la relation inverse pour l’affiliation partisane.
La politisation, avec la participation politique et l’orientation politique, constitue un des trois éléments constitutifs du rapport des citoyens à la sphère politique. Une grosse minorité de 43% des Dakarois se déclare intéressée par la politique : 17% sont « très intéressés » et 26% « plutôt intéressés ». Pour les autres, le désintérêt n’est en général pas total. Cependant, près d’un Dakarois sur trois (23%) affirme n’avoir « aucun intérêt pour la politique ». Les autres indicateurs de politisation retenus dans l’enquête viennent corroborer les résultats précédents. Ainsi, six Dakarois sur dix déclarent parler souvent de politique avec leurs proches (famille, amis, relations), tandis que 63% considèrent que la politique est une composante importante de la vie en général. A l’instar de certaines formes de participation politique, la politisation tend à croître avec le revenu et surtout le niveau d’éducation.
Ces résultats traduisent-ils un niveau faible ou au contraire élevé de politisation ? Nous avons cherché à savoir ce qui comptait le plus dans la vie des Dakarois. Des six domaines proposés, la politique se classe en dernière position, très loin derrière la famille, le travail, mais aussi la religion, les relations sociales et même derrière les loisirs. Ainsi 37% des adultes de la capitale considèrent que « la politique n’a aucune ou peu d’importance » dans leur vie, alors que seulement 19% affichent la même indifférence vis-à-vis des loisirs, 3% pour les amis et moins de 1% pour les autres domaines de la vie. La politique n’apparaît donc pas comme une priorité, ni même comme un champ central dans la vie.
Une mise en perspective : gouvernance, démocratie et développement économique vont de pair
Pour conclure cette analyse nous replacerons la situation et la trajectoire récente du Sénégal en matière de gouvernance, de démocratie et de lutte contre la pauvreté dans une perspective de plus long terme, à la fois pour explorer le passé et pour se projeter dans l’avenir. Des cinq options proposées comme facteurs de sous développement du Sénégal, « la mentalité et les comportements de la population » est la plus citée, puisqu’elle est dénoncée par 86% de la population. « La faiblesse des ressources naturelles du pays » arrive en deuxième position : 82% des Dakarois lui imputent une part de responsabilité dans la pauvreté du pays. Vient ensuite « la mauvaise gestion des dirigeants du pays », invoquée par plus des trois quarts des citoyens (77%). Enfin, « le poids du passé (histoire coloniale, etc.) » et « les interventions étrangères (bailleurs de fonds, firmes multinationales) », ne recueillent respectivement que 66% et 57% des suffrages. En mettent l’accent sur les facteurs internes plutôt que sur les causes externes, les Dakarois, toutes couches sociales confondues, délivrent un message d’espoir : le changement relève du domaine de l’action humaine et de la politique : le sous développement n’est pas une fatalité !
En ce qui concerne les priorités de développement pour les dix prochaines années, « le maintien de l’ordre » dans le pays et « la lutte contre l’inflation » occupent, dans cet ordre, les deux premières places des quatre options proposées, avec 48% et 37%. Les deux autres options considérées, très minoritaires, apparaissent loin derrière. A peine 11% affirment que la première priorité devrait être d’« accroître la participation des citoyens aux décisions du gouvernement », tandis que 4% plaident en faveur de politiques visant à « garantir la liberté d’expression ». Si tous mettent en avant les valeurs matérialistes, les plus pauvres y sont les plus sensibles. Sans la réalisation de ces conditions minimum, la participation citoyenne et la liberté d’expression ne peuvent pas s’exercer pleinement.
Enfin et d’un point de vue plus général, les résultats de cette enquête est clair:le développement économique et l’amélioration des conditions de vie matérielles d’une part, la liberté et la démocratie de l’autre, ne peuvent pas être considérés comme des alternatives qui devraient faire l’objet d’arbitrages. La question n’est pas de trancher entre manger ou pouvoir s’exprimer librement, mais bien de manger et de vivre libre !