L’Afrique détient indéniablement le (triste) record du continent ayant connu le plus grand nombre de coups d’Etat ces cinquante dernières années. Au delà des facteurs internes propres à chaque pays et de contextes particuliers qui conduisent à une prise du pouvoir par la force, il convient de réfléchir sur ce phénomène source d’une instabilité chronique pour de nombreux pays, pour des régions entières, et au final, pour la sécurité de tout un contient.
Dans une résolution prise à Alger en juillet 1999, lors du 35e sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue Union africaine (UA), une déclaration condamnant l’usage du coup d’État comme mode d’accession de pouvoir en Afrique a été adoptée. Celle-ci n’a pas empêché les coups d’Etat de prospérer. Maintenant c’est le tour du Mali avec la défénestration d’Amani Toumani Touré.
Plus qu’un coup d’Etat, le coup de force des militaires Bissau guinéens traduit un malaise généralisé des armées ouest-africaines. En plus des pays habitués à ce phénomène l’épée se fait de plus en plus menaçante pour tous les pays de l’espace CEDEAO.
L’armée bissau-guinéenne vient de reprendre le pouvoir que la CEDEAO a repris timidement a l’armée malienne. Dans l’attente du second tour de l’élection présidentielle, prévu pour le dimanche 29 avril, les militaires de ce pays ont servi un coup d’Etat à leur peuple. La junte bissau guinéenne ne durera peut-être pas au pouvoir, mais elle vient de traduire encore le malaise généralisé des casernes ouest africaines. Où la promiscuité des militaires avec les politiques et les hommes d’affaires a fini par dompter l’éthique militaire. Arguant désormais d’arguments fallacieux et déposant des démocrates ou dictateurs, les militaires n’en finissent plus de s’immiscer dans la sphère politique de leurs pays.
Hues ou applaudis, ils s’essaient à la politique, s’accommodent aux salons feutrés des présidences africaines. Un état de fait entretenu et nourri par les principales victimes que sont les dirigeants politiques. Pour leurs intérêts politico-politiciens, ils pactisent avec des militaires qui finissent par devenir d’amnésiques sbires. Les militaires oublient beaucoup de choses au moment des coups d’Etat. Entre autres ils oublient le fait que le militaire est le garant de la nation qui doit faire le plus de sacrifice pour le pays. Arborant fièrement sa tenue il ne devrait, en aucun cas baisser la tête ou bloquer le pas devant des considérations matérielles au détriment de sa mission première. Malheureusement, depuis nos indépendances les politiques ont entraîné les militaires à souper dans le même plat. A force de se côtoyer dans les mêmes hôtels, à palper les mêmes billets de banque et à garnir les comptes dans les mêmes banques à l’étranger les hommes de tenue et les hommes politiques ont désormais le même rêve. Briguer forcement la présidence. De plus en plus donc, l’espace CEDEAO regorge d’affairistes militaires qui affichent fièrement leurs ambitions. Le patriotisme au talon et au volant des plus belles voitures, ils finissent dans la désinvolture. Soit en se désolidarisant complètement de la troupe soit en voulant purement et simplement prendre la place du politique.
Dans tous les cas, la finalité de ces écarts de conduite est un coup d’Etat qui placera ou évincera la hiérarchie militaire du pouvoir et mettra les civils au second plan des institutions démocratiques.
Comme pour dire que l’Afrique des «généraux, des colonels, des capitaines» a la peau dure. Pourquoi ?
L’Afrique apparaît globalement comme un continent en crise.
Depuis les années 1960 (R. Dumont, L’Afrique noire est mal partie, 1962), l’idée que l’Afrique est un continent à l’écart, sous développé et en proie à la violence s’est imposée dans les représentations.
La crise semble multiforme :
Economique.Le continent affiche les performances les plus faibles. L’ensemble des revenus des pays d’Afrique subsaharienne correspond au PIB du Mexique et sur les 45 pays classés parmi les moins avancés par le PNUD, 34 sont en Afrique. Le continent semble à l’écart de la mondialisation, ne participant qu’à 3% des échanges mondiaux. Les ressources étatiques dépendent surtout des matières premières (économies rentières faiblement industrialisées) et la chute des cours a entraîné un fort endettement des Etats. Les deux dernières décennies ont par conséquent été marquées par les plans d’ajustement structurels du FMI dans de nombreux Etats. L’image qui s’impose est celle de la pauvreté du plus grand nombre : 1 personne sur 2 vivrait avec moins d’1 dollar par jour. La famine est un spectre récurrent mais elle est davantage liée aux stratégies des acteurs politiques (la faim est devenue une arme et une ressource) qu’aux caprices de la nature. La malnutrition, quant à elle, est une réalité quotidienne.
Politique.La mal gouvernance semble une maladie politique essentiellement africaine : corruption et « patrimonialisation » des richesses sont les caractéristiques essentielles des Etats africains. Les partis politiques sont créés pour s’enrichir d’une manière illicite. Les « fonds politiques » servent a l’enrichissement illicite et à la gabégie puisqu’il est interdit d’en contrôler l’usage. En Afrique, les partis prennent le pouvoir pour se partager l’argent, les postes et les biens mobiliers et immobiliers. L’impunité des tenants du pouvoir, leur arrogance, leur insolence, les violations permanentes des droits de l’homme et leur incapacité à résoudre les demandes sociales des citoyens ouvrent la brèche pour des bandes armées de réaliser des coups d’Etat. Ces coups d’Etat sont en général perpétrés dans l’indifférence des populations fatiguées qui jugent les bandes civiles et les bandes armées de la même manière.
Plus de 70 coups d’Etat en cinquante ans
Le continent Africain a connu 71 coups d’Etat « réussis » au cours des cinq dernières décennies. Ce chiffre cache évidemment de nombreuses tentatives plus ou moins abouties (tel que le coup d’état « air-air » contre Hassan II en aout 1972 au Maroc et les innombrables mutineries dans les casernes). Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993, dont certains se sont succédé au cours d’une même année… Autre pays important de la région, le Ghana, a enregistré quant à lui cinq coups d’Etat en l’espace de quinze ans (le dernier datant de 1981), autant que les Comores et le Burundi. L’Afrique de l’Ouest est la région du continent ou se concentrent ces changements brutaux, même si certains pays ont en été épargné. Le Burkina-Faso (4 coups d’Etats, entre 1980 et 1987), le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (3) s’ajoutent à ceux déjà mentionnés au Nigeria et au Ghana, en plus d’autres pays dans lesquels ce phénomène a été plus ponctuel.
Ce tableau doit néanmoins être nuancé par le fait que malgré la médiatisation et l’impact important que peuvent avoir des coups d’Etats plus récents (tel que ceux intervenus en Guinée en 2008 ou actuellement au Mali et en Guinee Bissau) la tendance qui consiste à destituer un chef d’Etat par la force est à la baisse. Neuf coups d’Etats ont été effectués ces dix dernières années (en Mauritanie, Niger, Madagascar, Guinée, Togo, Guinée Bissau et Centrafrique), contre 14 au cours des années 1990, 19 dans les années 1980 et 26 dans les années 1970, qui ont constitué « l’âge d’or » des coups d’Etats en Afrique. Ceux-ci étaient d’ailleurs souvent reconnus et salués par les opinions publiques et à l’Etranger. L’un des signes de cette tolérance de moins en moins admise a été l’adoption par l’Organisation de l’Union Africaine, en 1999 à Alger, d’une résolution condamnant l’usage de la force dans la prise de pouvoir et sanctionnant les régimes qui en seraient issus.
Des facteurs explicatifs ?
Les auteurs de coups d’Etat justifient le plus souvent leur passage à l’acte par des arguments (éventuellement vrais, parfois insuffisants) et annoncent vouloir restaurer la démocratie et remettre le pouvoir au peuple??? Outre les rivalités personnelles ou claniques, qui peuvent expliquer un certain nombre de coups d’Etat, des facteurs endogènes peuvent être relevés.
Tout d’abord, la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne (ou de quelques unes), rend d’une part plus difficile un changement institutionnel par des moyens légaux, d’autre part, rend plus réaliste une prise de pouvoir « physique », dans la mesure ou le régime repose entièrement sur une seule tête qu’il suffirait d’isoler ou d’éliminer. Le schéma est classique: une petite bande armée se divise en 3 groupes, l’un vers le Palais, le second vers la station de RadioTv et le troisième ferme l’aéroport!
La faiblesse des Etats et des Institutions dans nombre de pays Africains, la corruption comme système de gouvernement, la légitimité réduite de leurs institutions et la faible cohésion nationale qui les anime sont bien évidement des facteurs aggravants. Le Président et sa bande se comportent en famille régnante et gabégique.
En outre, les facteurs externes, régionaux et internationaux, ont joué un rôle plus au moins directs dans de nombreux coups d’Etat.
Si dans le cas du Mali, la situation qu’a connu la Libye et la circulation des armes dans la région a servi de catalyseur, d’autres coups d’Etats ont pu être directement inspiré, voire dirigés depuis l’étranger.
Il est difficile d’expliquer pourquoi certains pays connaissant les mêmes conditions socio-économiques et le même contexte historique ne connaissent pas le même degré d’instabilité. Néanmoins, il faut noter qu’un coup d’Etat ne renverse pas uniquement un dirigeant donné mais fait entrer le pays dans un cycle d’instabilité qui peut durer des décennies. L’Histoire a montré qu’un dirigeant arrivé au pouvoir par la force a plus de chance de se faire à son tour destituer par la force, même bien des années plus tard. De nous jours la prise de pourvoir par la force est unanimement condamnée par les institutions internationales et les gouvernements, peu importe la situation qui prévaut dans le pays où ils ont lieu. L’expérience a montré que ce type d’événements aggrave plus les problèmes qu’il ne les résout, et les graves événements qui secouent le Mali nous le rappellent aujourd’hui tragiquement.
Appel à une réglementation africaine plus sévère contre les coups d’état et leurs auteurs:
A l’évidence, depuis les années 1990, l’Afrique connaît un processus de démocratisation qui peine à s’épanouir en raison, entre autres, des interférences des forces armées dans le jeu démocratique. C’est le cas dans plusieurs pays par le passé et plus encore actuellement où le phénomène annihile tous les efforts de développement. Ces coups de force viennent alourdir le lourd tribut de pertes en vies humaines déjà payé par les populations africaines du fait de leur aspiration à la liberté et à la démocratie.
Le coup d’état intervenu au Mali, le 22 mars 2012 alors que le pays faisait face à une rébellion armée dans le Nord et cherchait les voies et moyens pour garantir son intégrité territoriale et la tentative de coup de force de ce 12 avril en Guinée-Bissau sont de trop et devraient susciter, de la part de l’Union Africaine, des mesures coercitives et définitives pour bannir et décourager à jamais de la vie politique des Etats, la prise du pouvoir par les armes, au risque de rester aux yeux du monde entier comme le seul continent où perdure cette pratique d’une autre époque.
C’est pourquoi, des citoyens africains , par la voix du journaliste FRANCK S. KINNINVO lancent un appel à la présidence béninoise actuelle de l’Union Africaine afin qu’elle ouvre ce chantier et aboutissent à une convention africaine en tenant, si possible, compte des éléments suivants dont la plupart, se retrouve dans les mesures déjà prises par l’Union Africaine contre les auteurs du coup d’état au Mali :
1. Tout coup d’état est un crime contre la Nation et les auteurs doivent être punis par les juridictions nationales et éventuellement par une juridiction continentale ad hoc ;
2. Toute personne ayant participé à la gestion d’un pouvoir issu d’un coup d’état est complice de ce coup de force et doit subir les mêmes rigueurs de la loi ;
3. Lorsque le coup d’état entraîne des pertes en vies humaines, le crime devient imprescriptible et transnational. Les auteurs et complices peuvent être jugés par n’importe quelle juridiction d’un pays membre de l’Union Africaine ou à défaut par une juridiction continentale à mettre sur pied ;
4. Les auteurs et complices de coup d’état ne doivent jamais être considérés dans les fonctions qu’ils ont occupées à la faveur de ce coup d’état ;
5. La définition d’une batterie de mesures répressives contre les auteurs et complices de coup d’état allant de la saisie de leurs avoirs jusqu’à leur déclaration comme persona non gratta dans tous les pays de l’Union Africaine. Les embargos économiques doivent faire l’objet d’une étude plus approfondie et au cas par cas afin de ne pas pénaliser les populations ;
6. La mise en place d’une force armée pouvant être utilisée pour le rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel dans le pays concerné soit à la demande des autorités constitutionnelles déchues ou au nom du droit d’ingérence humanitaire. En dehors de ces deux conditions, la demande peut émaner des forces vives du pays dûment constituées ;
7. Le retour à l’ordre constitutionnel passe nécessairement par le rétablissement du régime en place avant le coup d’état comme ce fût le cas avec le Président Ahmad Tejan Kabbah de Sierra Leone. Le 25 mai 1997, il est contraint à l’exil en Guinée suite au coup d’État de Johnny Paul Koroma, leader de l’AFRC. Grâce à l’intervention militaire de l’ECOMOG, le Président Ahmad Tejan Kabbah retrouve son fauteuil de Président de la République le 10 mars 1998. L’exception à cette règle ne peut provenir que d’une démission du chef de l’Etat évincé.
Ces mesures doivent être prises le plus tôt possible et applicables à tous les pays de l’Union Africaine, surtout avec les derniers développements en Guinée-Bissau. Une juridiction ad hoc peut être désignée ou à défaut, habiliter une juridiction nationale compétente selon le pays pour connaitre de chaque cas de coup d’état.
Par ailleurs, l’Union Africaine peut davantage outiller le Conseil de Sécurité et de Paix dans la collecte des renseignements lui permettant d’anticiper sur le règlement des crises qui conduisent à ces coups d’état que rien ne peut justifier.
Synthèse de notes de lecture réalisée par Seydina Oumar Toure