« L’humanité se trouve désormais divisée en deux parts, d’ailleurs très inégales. La première accepte, sous le nom de Progrès, cet Ordre, elle y a déjà conformé son esprit. La deuxième – ou plutôt la poignée d’hommes qui la refusent – ne saurait rien lui opposer que ce refus. La barbarie polytechnique n’a plus devant elle que des consciences. Mais les consciences ne sont pas des signes abstraits, elles s’incarnent, elles animent des êtres de chair et de sang, capable de souffrir et de mourir. La barbarie polytechnique, demain comme hier, reculera devant les martyrs. » de l’écrivain français Georges BERNANOS.
L’AFRIQUE DES NATIONS ET L’AFRIQUE DES IMBÉCILES.
Les nations, ce sont les peuples qui les composent et non les imbéciles qui les dirigent. Les nations, ce sont les peuples qui suent pour elles et non les tiques qui en tirent profit. Les nations, ce sont ceux-là qui depuis près de deux mois se battent et meurent pour elles et non les petits hommes qui humilient et tuent pour eux seuls.
Depuis deux mois résonne sur notre terre un cri unanime, un cri venu du fond des entrailles des humbles et des justes, et ce cri n’est ni une revendication politique, ni un programme social, ce cri n’est qu’un cri. Et parce qu’il n’est qu’un cri, il est, en fait, le cri ultime de l’humanité : le cri du dernier homme venu dire au pouvoir sa seule et unique vérité : Dégage !
Ce cri est parti de la Tunisie et commence à faire son chemin dans le monde. Nous lui souhaitons la plus grande fortune qu’un cri puisse connaître ; qu’il fasse vaciller ce monde sur ces bases.
Pour nous, peuple tunisien, ce cri, qui a résonné le 14 janvier, a fait vaciller notre État. Mais cela n’a pas suffi pour se débarrasser de ce que l’on nomme en science politique l’État cartel, c’est à dire l’ensemble des acteurs politiques qui se partagent le pouvoir et l’argent, sur le modèle des cartels mafieux.
L’ÉTAT CARTEL N’EST PAS MORT!
Ceux qui ont usé et abusé de notre Pays, de notre Peuple, de notre Nation, sont toujours aux commandes de l’État. Ils pensent une nouvelle répartition des gains et bénéfices de leur rente, ils mettent au point le système politique de demain qui leur permettra de continuer à gérer l’État d’une façon plus discrète, moins voyante, plus civilisée.
Ils feignent, bien sûr, la faiblesse et la concession, mais sur l’essentiel nous pouvons être certain qu’ils ne transigeront pas. Oui, ils se sont entourés d’hommes honnêtes et intègres, mais c’est pour se couvrir de leur intégrité et de leur honnêteté. Et il n’est pas arrivé le jour où la commission sur la corruption décrétera inéligible les anciens caciques du parti unique. Et nous pouvons toujours rêver de voir les biens illégalement acquis récupérés et nationalisés. Ne parlons même pas des jugements de la famille Trabelsi qui ne seront probablement qu’une mascarade. En un mot comme en cent, oubliez la justice. Elle n’est pas vraiment dans l’agenda politique de ces prochains mois, ni de ces prochaines années.
Ce qui, par contre, semble être à l’ordre du jour, c’est la résolution d’un certain nombre de questions économiques. Or ce gouvernement transitoire est censé déblayer le terrain afin de pouvoir laisser le peuple tunisien construire son avenir politique, et il n’a aucune légitimité à engager l’État Tunisien dans des accords économiques qui le lieront par la suite de façon irrémédiable. Il y a urgence à expliquer à ce gouvernement transitoire que si il doit se dépêcher de faire des choses, ce n’est pas dégotter des contrats et de l’argent à l’État Tunisien, mais bien, plutôt, lui permettre de renaître au plus vite.
Et cette renaissance pour qu’elle soit complète devra non seulement s’exécuter dans la sphère du politique, mais, avant tout, dans la sphère de l’économique. Il va s’agir pour la Tunisie et pour le peuple Tunisien de redéfinir avant toute chose le mode de vie économique dans lequel ils souhaitent évoluer. Il n’y aura eu aucune révolution si, à la fin de tous ces évènements politiques, nous, peuple tunisien, redevenons de simples figurants dans un décor pour touristes, si notre terre si fertile, autrefois grenier de Rome, reste destinée à une exportation massive vers des marchés où la concurrence nous dévore, et si notre jeunesse diplômée est damnée au marché du télémarketing.
Or si il y a bien une chose qui est complètement ignorée depuis le début des débats, c’est cette question économique. Rappelons nous tout de même que le point de départ de notre révolution fut l’embrassement de ceux-là que des choix économiques lâches et intéressés ont mis de côté pendant près de vingt ans. Notre histoire n’a pas été relancée par ceux qui vivaient bien à l’abris du besoin, mais par ceux qui ont souffert dans leurs chairs d’une politique économique injuste et mal pensée, pas adaptée à notre pays, mais importée directement des bureaux du FMI, de la banque mondiale, bref, de tous ces bailleurs de fonds internationaux pour qui l’argent n’a guère d’odeur pourvu qu’il revienne régulièrement et à un taux avantageux.
Il faut bien noter que cette politique économique n’a pas été décidé par les Trabelsi, ces idiots ont profité de cette rente comme d’une manne personnelle. Mais ce n’était pas les cerveaux de l’opération… nul besoin de développer la question, cela est une évidence. Mais alors, qui a donc décidé de cette politique économique jusqu’à présent ? Faut-il vraiment le dire ? Et bien oui, il faut le dire. Il s’agit bien évidemment de ces fameux « technocrates » qui se sont vendus comme experts de la machine étatique, comme indispensables à son bon fonctionnement. Et bien oui, ils sont bel et bien indispensables à son fonctionnement en l’état, et la raison en est très simple. Ils en sont les architectes et les ingénieurs.
RIEN DANS NOS ÉTATS N’INCITE À L’OPTIMISME POUR LES GÉNÉRATIONS MONTANTES.
La question qui se pose à nous aujourd’hui est assez simple. Souhaitons nous continuer à vivre dans la soumission économique à un ordre inique, injuste, imposé pour d’obscures raisons mafieuses, ou alors allons nous décider de devenir enfin une nation souveraine et d’imposer notre mode de fonctionnement économique.
Bien évidemment certains doivent prendre ces propos pour de la folie pure, ou bien peut-être de l’ignorance des règles fondamentales de la science économique, ou de l’idéalisme, ou bien encore de l’utopisme. Mais non. Il s’agit au contraire d’un rappel de la loi unique et fondamentale de la vie d’une nation : sans contrôle sur son économie une nation n’est rien. Réfléchissez donc au contrôle que notre pays a sur son économie et demandez-vous quelle est la véritable puissance de notre nation. Nada. Niet. Rien. Sheï.
Si au moins ce libéralisme de façade profitait à notre Pays, à notre Peuple, à notre Nation. Mais avez-vous l’impression de vivre aux USA ? Avez-vous l’impression de vivre en Europe ? La vérité est que nous sommes considéré en tant que Pays, en tant que Peuple, en tant que Nation, pour des moins que rien. Nous ne sommes qu’un paysage de carte postale dans un métro lointain, qu’une voix au téléphone qui essaye de vendre telle ou telle chose à des inconnus qui nous traitent comme des chiens, qu’une réunion annuelle sur fond de fausse participation politico-économique.
Est-ce là l’avenir que vous souhaitez à notre Nation ? J’ai l’impression, moi, qu’il s’agit là de notre passé, et d’un passé que je souhaiterai oublier à tout jamais.
Il faut bien comprendre également que cette réalité de soumission économique concerne les peuples, les pays, les nations du monde entier. La politique, dans notre monde, est soumise à l’économique de Paris à Dubaï. Partout les peuples subissent les mêmes assauts, partout les nations sont mises à genoux par des holdings internationaux dont le seul horizon est l’argent à tout prix, l’argent encore, l’argent toujours. Cette domination mondiale s’étend comme les mailles d’un filet sur l’humanité souffrante qui ne sait plus que faire pour se sortir de cette nasse.
Nous sommes les premiers à avoir rompu le filet qui nous retenait. Nous sommes les premiers depuis une éternité à avoir la possibilité de retourner à la liberté, c’est à dire à l’inconnu, à l’histoire humaine, c’est à dire le contraire du planifié, de l’économique. Et aujourd’hui les regards de tous sont braqués sur nous, sur notre destin.
L’enjeu de ce qui se joue aujourd’hui en Tunisie dépasse de beaucoup le cadre de nos frontières. C’est pour cela que le monde retient son souffle en nous regardant. Nous, peuple tunisien, sommes en train de nous lever à nouveau, comme du temps d’Hannibal et de Carthage la grande, pour défier l’Empire, pour défier la nouvelle Rome. Notre destin en tant que peuple et en tant que nation se joue en ce moment. La victoire ou la mort, voila le seul choix qui s’offre à nous.
Par Shiran Ben Abderrazak
Texte publié en février 2011.
Rediffusé pour que la mémoire ne se perde!
Sous titré par nos soins.
Seydina Oumar Toure