DECLARATION DES DIPLOMATES EN POSTE AU ROYAUME-UNI
OBJECTION DE CONSCIENCE
Voulues démocratiques, libres et transparentes, les échéances électorales du 28 novembre 2011 tendent inexorablement à déboucher sur un dédoublement des institutions, annihilant par le fait même tous les efforts précédemment consentis par la nation congolaise tout entière et la communauté internationale qui l’a accompagnée dans sa marche vers la démocratie.
Un certain nombre d’indications factuelles en notre possession, soutenues par des éléments probants, sous-tendant notre propre analyse quant à la situation qui prévaut en RDC, forgent notre intime conviction sur les origines de cette crise institutionnelle et ses conséquences,indéniablement créés à la suite de la volonté manifeste du Président KABILA à demeurer au pouvoir.
Fort de ce constat amer face aux manœuvres d’instauration d’un pouvoir totalitaire imposant un climat de terreur, nous, diplomates en poste à Londres, rompons le devoir de réserve que nous imposent les statuts des agents et fonctionnaires de la République et brisons la loi du silence pour joindre nos voix à celles de tous ceux qui, par lucidité et par honnêteté ont dénoncé avec force, des pratiques politiques malveillantes décriées naguère.
Il serait simpliste et présomptueux de se limiter aux seuls derniers événements d’actualité pour étayer notre argumentaire. Il convient donc de faire la comptabilité d’une série de faits qui, placée sur un prisme d’observation, démontre une démarche politique systémiquemise en place par le régime du Président KABILA visant à conserver le pouvoir par la force, et ce au détriment de la volonté populaire exprimée lors du scrutin du 28 novembre 2011.
Les prémisses de cette dérive totalitaire remontent bien au-delà de ce hold-up électoral, à une certaine période où le bénéfice du doute était bien permis. Au nom de la paix chèrement recouvrée ettout en abusant de la légitimité nouvellement gagnée, le Gouvernement s’est versé dans la commission d’actes délictueux en toute impunité, en violation de façon quasi permanente de la constitution et des lois de la République, alors que le Chef de l’Etat était supposé en être le garant.
A titre de rappel, nous citerons la fameuse affaire dite « Bundu dia Congo », ayant défrayée les chroniques en janvier 2007. Maquillé en bavure policière, ce crime d’Etat a finalement révélé au monde un odieux massacre des populations civiles par la Police Nationale suite à un ordre politique. Des centaines de personnes adeptes de cette église ont péri du fait d’un usage disproportionné de la force. Et la répression qui en a résulté a débordé le cadre de cette église, occasionnant des violations massives des Droits de l’Homme. Les rapports de la MONUC et de bien d’autres organisations indépendantes des Droits de l’Homme ont unanimement conclu à une tuerie des masses.
Nous citerons aussi l’incarcération et le maintien en détention des adversaires politiques au régime KABILA pendant tout le long du quinquennat de celui-ci. Au nom de l’intolérance politique, l’instrumentalisation outrancière de l’appareil judiciaire a favorisé à masquer les affaires politiques en affaires de droit commun afin de justifier une mise sous silence de la contradiction.
La règle est la liberté et la détention l’exception. La violation permanente de ce principe constitutionnel sacro-saint des droits et libertés des citoyens est telle qu’à ce jour, certains détenus prétendument de droit commun purgent même des peines au-delà du terme légal requis.
Nous citerons enfin, une série d’assassinats dont ont été victimes des personnalités politiques, des activistes de Droit de l’Homme, des journalistes etc.qui, dans la majorité des cas, se sont farouchement opposés aux options politiques du Gouvernement. L’Etat congolais s’est dérobé à assurer une réelle transparence quant à la mise en place des commissions d’enquête pour élucider leurs morts ou encore assurer des procès équitables. L’un des cas les plus démonstratifs reste sans nul doute l’assassinat de l’activiste des Droits de l’Homme Mr Floribert CHEBEYAqui a trouvé la mort, lui et son compagnon d’infortune Fidèle BAZANA,dans les locaux de la Police Nationale. Et même des élus, revêtus pourtant de l’immunité parlementaire comme récemment ce fut le cas avec les assassinats des Honorables BOTHETI et Marius GANGALE.
Par ailleurs, le désastre économique culminé par des affaires de concussion, de corruption et de spoliation de l’économie congolaise dont s’est rendu coupable le régime du Président KABILA en toute impunité, constituent des crimes contre l’humanité au regard de leur ampleur et de leur nature.
Un bradage systématique sans précédent a permis l’enrichissement illicite de certaines autorités, principalement par la mainmise des réseaux maffieux notamment sur les ressources minières de la RDC. Différents rapports émanant à la fois des organisations du système des Nations Unies, des organisations non gouvernementales et même d’éminentes personnalités, à l’instar du Député Britannique Eric Joyce, Président du groupe parlementaire Afrique – Région des Grands Lacs, qui a dénoncéla complicité du pouvoir en place dans ses différents rapports, notamment celui du 18 novembre 2011 portant sur le bradage des ressources minières de la RDC, évalué à plus ou moins 5 milliards de dollars américains ou encore le dernier rapport du 28 novembre 2011 dans lequel il dénonce les malversations financières au sein de la compagnie SHELL au Congo.
Contrairement aux règles républicaines intimant la séparation des pouvoirs, en consacrant le contrôle de l’action de l’exécutif par le législatif, ces graves crimes économiques n’ont suscité aucunintérêt pour la saisine du parlement congolais, ni même celle du Parquet Général de la République. Cela démontre à suffisance une caporalisation flagrante des institutions de la République désormais au service d’un individu.
Que simultanément sur le plan social, la paupérisation de la population n’a cessé de prendre de l’ampleur, en même temps que sa situation sociale ne cesse de se dégrader tel que démontré par le dernier rapport sur l’indice du développement humain (IDH/2011), publié par le Programme des Nations Unies pour le Développement le 3 novembre 2011. Dans ce rapport, la RDC est classée en dernière position sur 187 pays examinés.
Ce contraste flagrant entre les ressources exponentielles dont dispose la RDC et la misère imposée aux millions des congolais, démontre une corrélation parfaite entre la mauvaise gouvernance érigée en mode de gestion et l’impunité que nous tenons à dénoncer.
Sur le plan diplomatique, les grands discours des perspectives tracées pour redorer le blason terni de notre politique diplomatiquesur l’échiquier international sont restés des vœux pieux. A la place de la professionnalisation et de la mise à disposition des moyens promis lors de la conférence diplomatique tenue en novembre 2010 , c’est le clientélisme et le militantisme qui priment.
Nos recommandations portant sur des questions de politique générale et surtout sur les enjeux diplomatiques, constamment faites à l’attention de l’autorité du Ministère des Affaires Etrangères, n’ont jamais bénéficié d’un écho favorable. Pire, ces observations faites en interne, visant une amélioration de l’orientation politique gouvernementale ont souvent servi d’exutoire à certains pour monter des cabales contre des fonctionnaires que nous sommes, au service de la République.
Ces divergences d’approche ont si souvent motivé des mesures discriminatoires qui nous sont aussi appliquées dans l’exercice de nos fonctions. Sinon, comment pourrait-il en être autrement lorsque seul le militantisme détermine le droit aux avantages reconnus aux diplomates, lorsque le Ministre des Affaires Etrangères, poussant le cynisme à l’extrême, se permet de priver les diplomates de leurs droits dont les salaires, privant de ce fait les moyens de subsistance à toutes leurs familles, pour les attribuer à des quidams. Comment pourrait-il en être autrement aussi lorsque ce même ministre s’illustre dans la catégorisation des diplomates, toujours en fonction de leurs affinités ou non au parti présidentiel.
A titre illustratif, nous évoquons le détournement de la paie de certains diplomates en poste, opéré de manière constante par le Ministre des Affaires Etrangères de la RDC. Cette activité délictuelle est rendue possible grâce à un stratagème consistant à inscrire leur rémunération comme poste de dépense dans la loi budgétaire, mais à en détourner l’affectation au détriment des bénéficiaires. Cette maffia organiséefloue le trésor publicet profite à leurs auteurs.
L’enrichissement sans cause est puni, car nul ne peut s’enrichir sans juste motif. Au nom de quelle logique ou d’une quelconque interprétation, quoiqu’erronée, des lois, peut-on attribuer à un tiers, une rémunération pour laquelle il n’a pas presté.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée et proclamée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948 stipule ce qui suit à l’article 23, alinéa 2 et 3 « Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous les autres moyens de protection sociale ».
L’Art 36 alinéa 2 de la Constitution de la RDC stipule : « L’Etat garantit le Droit au travail, la protection contre le chômage et une rémunération équitable et satisfaisante assurant au travailleur ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, complétée par tous les autres moyens de protection sociale, notamment, la pension de retraite et la rente viagère »
Le code du Travail en vigueur en RDC renchérit au Titre 5 Art. 86 et suivants ; plus spécifiquement en son Art 93 : « La rémunération est due pour le temps où le travailleur a effectivement fourni ses services ; elle est également due lorsque le travailleur a été mis dans l’impossibilité de travailler du fait de l’employeur ainsi que pour les jours fériés légaux, hormis le cas de lock-out déclenché conformément aux dispositions légales.»
Tous ces textes de lois en vigueur dans notre pays abondent dans le même sens, à savoir la protection du salaire comme l’un des droits fondamentaux de l’Humain et par-delà son inaliénabilité.
Nous avons aussi fait de façon récurrente des observations à notre hiérarchie quant aux rapports plutôt discriminatoires, provocateurs et clivant que le gouvernement ne cessait de développer à l’endroit de la diaspora congolaise.Faisant prévaloir des considérations politiciennes partisanes contre une frange importante des congolais que nous sommes pourtant censés représenter. Le régime KABILA a poussé l’animosité, jusqu’à atteindre son paroxysme par la reconduction de la décision de privation du droit de vote aux congolais vivant à l’étranger.
Il n’est donc pas fortuit que les rapports entre représentants de l’Etat Congolais et la diaspora congolaise se soient aussi sensiblement détériorés.
Pour toutes ces raisons ci-haut évoquées et principalement par rapport au hold-up électoral, aux exactions qui en ont résulté et à un régime fasciste qui tente à se maintenir durablement :
De ce qui précède, décidons :
v D’arrêter, toutes affaires cessantes, l’exercice de notre mandat de diplomate sous la direction du régime du Président KABILA
v D’invoquer notre droit à l’objection de conscience, face à la tyrannie despotique conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme contenue dans le préambule de la Charte des Nations Unies de 1945 et à la Constitution de la République Démocratique du Congo qui stipule en son art 64 : « Tout congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente constitution… »
Fait à Londres, le 10/02/ 2012
S. KABENGELE MAMBA M. YAYA EFUNGA
2ème Secrétaire d’Ambassade 1er Secrétaire d’Ambassade
B. KAZADI MOUSSONZO.
1er Secrétaire d’Ambassade.
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